ΚΕΝΤΡΙΚΗ ΣΕΛΙΔΑ  ΠΟΙΟΙ ΕΙΜΑΣΤΕ  ÁÃÉÁ ÃÑÁÖÇ   ΒΙΒΛΙΟΘΗΚΗ "ÐÏÑÖÕÑÏÃÅÍÍÇÔÏÓ"
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  ÐÑÏÓÊÕÍÇÌÁ ΑΓ. ΒΑΡΒΑΡΑΣ   ΘΕΟΛΟΓΙΚΟ ÏÉÊÏÔÑÏÖÅÉÏ    ÓÕÍÄÅÓÌÏÉ
Φωνή Κυρίου | Äéáêïíßá | Åïñôïëüãéï | ÐïëõìÝóá

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Ï åóðåñéíüò ôçò óõããíþìçò

ÐñïóÝããéóç óôçí åõ÷Þ ôïõ Áãßïõ Åöñáßì ôïõ Óýñïõ

Ó÷üëéá óôçí ÊõñéáêÞ ôçò Ïñèïäïîßáò

Ï Óôáõñüò ôïõ ×ñéóôïý

Ó÷üëéá óôçí Ä' ÊõñéáêÞ ôùí Íçóôåéþí

Ó÷üëéá óôçí ÊõñéáêÞ Å' Íçóôåéþí - Ç åõëïãçìÝíç ãõìíüôçôá

Ó÷üëéá óôçí Å' ÊõñéáêÞ Íçóôåéþí

Ó÷üëéá óôïõò ×áéñåôéóìïýò

Ôï ðñüóùðï ôçò Èåïôüêïõ

Ç âåâáßùóç ôçò åëðßäáò ìáò

Ï ÁêÜèéóôïò ¾ìíïò

Ó÷üëéá óôçí ÊõñéáêÞ ôùí Âáúùí

Íçóôåßá êáé Åíüôçôá

Ç Íçóôåßá ôçò ÌåãÜëçò ÔåóóáñáêïóôÞò

Ç Èåïôüêïò êáé ôï ÌõóôÞñéï ôïõ Óôáõñïý

Ç ðåñß Óôáõñïý Äéäáóêáëßá ôçò Ïñèïäüîïõ Åêêëçóßáò

Ç ðíåõìáôéêüôçôá ôçò ÌåãÜëçò ÓáñáêïóôÞò

Ïé Áêïëïõèßåò ôçò ÌåãÜëçò ÓáñáêïóôÞò

Ôï íüçìá ôçò ÷ñéóôéáíéêÞò áóêÞóåùò

Le jeune

Ç ìåãÜëç ÓáñáêïóôÞ: «¸íáò ôñüðïò æùÞò»

Ç ÌåãÜëç ÔåóóáñáêïóôÞ êáé ï óýã÷ñïíïò Üíèñùðïò

Ç åéêüíá ôïõ Êõñßïõ ìáò Éçóïý ×ñéóôïý

Ïé åéêüíåò ôçò Èåïôüêïõ êáé ôùí Áãßùí ìáò

ÓáñáêïóôÞ: ÌåôÜíïéá êáé áöïñìÞ éëáóìïý

Le jeune

V. I. Pheidas, Athènes1987, ÁíÜôõðï ÅðéóôçìïíéêÞ Åðåôçñßäá ôçò ÈåïëïãéêÞò Ó÷ïëÞò ôïõ Ðáíåðéóôçìßïõ Áèçíþí, ÊÆ´,
Ôéìçôéêü ÁöéÝñùìá óôïí ÌÜñêï Óéþôç

I. ORIGINE ET PERIODES DE JEUNE

L' institution du jeûne, fondée par Dieu, a été vécue dans la con­science de l' Église et évaluée dans la tradition patristique comme «imitation d' une vie égale aux Anges», «ressemblance aux Anges», «.violation de la nature», «imitation d1 un comportement incorruptible», «don divin», «une grâce aux maintes lumières», «image de la vie à venin, «nour­riture de l'âme», «source de toute méditation», «arme contre le diable», «aide donnée par Dieu», «collaboratrice à des actes divins», «grâce de l'abstinence illuminée par Dieu», «exercice d'abstinence», remède «qui tue les passions», «mère de toutes les vertus, et plus particulièrement de la sobriété», «meil­leure des vertus», «principe (ou commencement) des luttes spirituelles», «exercice à une vie de modération». Grand nombre d'autres qualifications du même genre agrémentent les ouvrages patristiques et, de manière toute particulière, les hymnes du Grand Carême (Triodion), soulignant la place tout à fait prééminente qu'occupe le jeûne dans la vie spirituelle du chrétien.

La pratique du jeûne, qui est bien connue dans l'ancienne alliance surtout comme rite pénitentiel et comme manifestation de l'idée de supplication, évolue dans les deux épisodes du jeûne de Moïse (Ex. 34,28. 34,9. 32,11. D. 9,18) et d'Élie (I R. 19,8. 19,14) et prend le caractère d'une préparation à la rencontre de Dieu. C'est pourquoi ces deux épisodes de l'Ancien Testament jouent un rôle prépondérant dans la tradition patristique sur le jeûne chrétien. Cependant, le contenu théologique du jeûne dans la nouvelle alliance prend son sens ultime dans son rap­port avec le jeûne du Christ (Mt 4,2) qui est étroitement lié au mystère pascal et annonce son accomplissement dans l'œuvre rédemptrice de la Croix. C'est ainsi que la pratique du jeûne chrétien prend un esprit nouveau et une signification nouvelle pour la vie spirituelle chrétienne. La critique des pharisiens (Mt 2,18 sqq.), qui reprochaient aux disciples de ne pas pratiquer les jeûnes facultatifs de 1'ancienne alliance, est une manifestation de la distinction profonde des deux pratiques.

La réponse de Jésus aux disciples de Jean (Mt 9,14-17) montre le caractère nouveau du jeûne, qui est commandé par le mystère pascal de Jésus lui-même. Le lien direct du jeûne avec l'aumône et la prière dans le sermon de Jésus sur la montagne (Mt 6,1-8. 16-18) montre aussi sa fonction dans la nouvelle alliance. A 1' époque apostolique et post- apostolique, les jeûnes obligatoires étaient réduits, mais les jeûnes facultatifs des fidèles apparaissaient comme le moyen le plus normal de l'ascèse. Ainsi, la Didaché invite les chrétiens à prier pour leurs ennemis et à jeûner pour ceux qui les persécutent (1,3) et propose aux chrétiens qu'avant le baptême jeûnent le baptisant, le baptisé et d' autres personnes qui le pourraient; ordonne au moins au baptisé de jeûner un jour ou deux auparavant (7,4).

En ce sens, le jeûne, étant un moyen de protection pour la nouvelle vie en Christ accordée par Dieu, n'est pas purement et simplement un exercice spirituel, mais un contenu essentiel de la vie spirituelle en Christ. C'est pour cela qu'il est indissolublement lié à la pénitence et à la prière. L'abstinence des aliments prescrits est comprise de manière générale dans la tradition patristique dans le sens d'un rejet d'un état d'esprit charnel; c'est pour cela que «s'abstenir de certains aliments n'est rien si l'on ne jeûne pas par tous les sens» (Isidore de Pelousion, Lettres, PG 78, 408), car d'adversaire n'est pas le corps, comme le pensent certains, mais le diable» (Clément d'Alexandrie, Stromateis, 4,14). Origène souligne: «Le chrétien a la liberté de jeûner en tous temps, non pas pour sur­ajouter aux observances, mais par maîtrise de soi, virtute continentiae» (In Leviticum, Homélie 10). C'est dans cet esprit que saint Athanase d' Alexandrie dans sa. Lettre festoie déclare qu'il faut «sanctifier le jeûne», c'est-à-dire jeûner non pas seulement dans le corps mais aussi dans l'âme. L'âme se sanctifie au moment où elle abandonne les œuvres de malice et se nourrit de la vertu qui lui est profitable (Lettre festoie, 1,3-7).

Saint Augustin met l'accent sur cette signification spirituelle du jeûne, découlant de ce que par la pratique du jeûne l'esprit s'élève vers la nourriture céleste: «Homines autem dum esudiumt, extendunt se; dum se extendunt dilatantur; dum dilatantur, capaces fiunt; capaces facti, suo tempore repelbuntur» (De utilitate ieiunii, I, 1). C'est pourquoi le jeûne chrétien diffère profondément du jeûne manichéen, car il tend à dompter la chair et n'admet pas d'opposition absolue entre chair et esprit: «caro mea iumentun meum est: iter ago in Hierusalem, plerum que me rapit et de via conatur excludere. Via autem mea Christus est...» (De utilitate ieiunii III, 3. V, 7).

Dans cette perspective, le jeûne n'est pas simplement une ascèse corporelle, car il présuppose la déification de tout l'homme en Jésus-Christ. Le Christ a assumé tout l'homme, corps et âme; c'est pourquoi le corps et l'âme doivent mourir ensemble à la «chair» de chaque chré­tien avec le soutien de la grâce divine, qui est accordée aux fidèles par le Saint-Esprit et transfigure le corps aussi bien que l'âme dans une réalité nouvelle, la vie nouvelle en Jésus-Christ. Dans cette vie nouvelle du chrétien, les passions ne sont pas détruites, mais leur force est contrôlée et mise au service de l'amour de Dieu. C'est ainsi que les diverses pratiques ascétiques ou la maîtrise sur les passions par la force de la volonté humaine n'est pas le but final ou absolu du jeûne chrétien, car le chrétien ne peut pas atteindre l'accomplissement spirituel du jeûne par ses propres forces. Le jeûne chrétien est un don de Dieu à l' homme pour atteindre, avec l'aide de la grâce di­vine, la transfiguration de tout son être. C'est pourquoi le jeûne n'est pas séparé de la totalité de la vie spirituelle en Jésus-Christ.

Le vrai jeûne présuppose l'aumône, car «le jeûne sans l'aumône crucifie la chair en vérité, mais il n'éclaire pas l'âme de la lumière de la charité» (Césaire d'Arles, Sermo 199). Le jeûne est nécessaire pour sou­tenir la vie de prière et l'humilité des chrétiens, car «le jeûne n'est pas la vertu parfaite, mais le fondement des autres vertus» (Jérôme, Epist. 130,10-11). Cependant, «le jeûne est une chose sainte, une œuvre céle­ ste, la porte du ciel, la forme de l'avenir, car celui qui agit saintement est uni à Dieu, étranger au monde et rendu spirituel» (Isidore de Séville, De ecclesiasticis officiis I, 37-45. PL 83, 776). Cet esprit apparaît de manière très caractéristique dans le stichère des vêpres du mercredi de la première semaine de Carême: «A notre jeûne corporel, frères, joignons le jeûne spirituel; brisons tous les liens injustes, défaisons le nœud des actes de violence; déchirons toutes les cédules d'iniquité. Donnons du pain aux affamés; ouvrons notre maison aux pauvres sans asile, pour attirer la grande miséricorde du Christ».

Selon Jean de Climax, «le jeûne est une violation de la nature, une circoncision de la douceur du palais, une castration des désirs charnels, un éloignement des mauvaises pensées, une libération vis-à-vis des rêves coupables, une pureté de la prière, un luminaire de l'âme, une veillée de l'intelligence» (Climax, 14. PG 88, 869). Par le jeûne le fidèle participe au Carême - jeûne d' obéissance - du Christ et renie, à l'aide de la grâce divine, la désobéissance de l'ancien Adam, étant donné que «plus que le jeûne, c'est la participation à l'obéissance qui frappe de son fouet les démons» (Nile d'Ancyre, Lettre, PG 79, 193). Une telle expérience christocentrique du jeûne est vraiment une source inépuisable d'exploits spirituels et la mère de toutes les vertus de la vie des fidèles en Christ; exploits et vertus que la tradition patristique et, de manière plus générale, ecclésiale décrit en détail et propose à des fins pastorales, et que le trésor spirituel inépuisable des hymnes du «Triodion» glorifie et exalte.

Le caractère spirituel du vrai jeûne est déterminé non seulement par son contenu spirituel, mais également par la manière selon laquelle et la période de l'année durant laquelle il est observé; cela est dû au fait que c'est dans cet esprit que l'ancienne Eglise indivise a fixé les périodes du jeûne.

Ainsi donc, les diverses périodes de jeûne aux cours de l'année se distinguent en (a) jeûnes généraux et (b) jeûnes spéciaux.

Aux jeûnes généraux appartiennent: a)le jeûne du mercredi et du vendredi, et b)le jeûne du Grand Carême, c'est-à-dire la période de quarante jours et la Semaine sainte.

Aux jeûnes spéciaux appartiennent: a) le jeûne de quarante jours de Noël, b) le jeûne des Saints Apôtres, c) le jeûne de la Dormition de la Vierge et d) les trois jours de jeûne observés respectivement la veille de l'Epiphanie, de l'Exaltation de la Sainte Croix, et de la Décol­lation de St Jean Baptiste.

 

1. Jeûnes généraux

a) Le jeûne du mercredi et du vendredi (Didaché, 8,1) a été indissolublement lié dans la conscience de l'Église à certains événements caractéristiques de la vie terrestre de Jésus-Christ signifiant la récapi­tulation et la guérison en Christ de la désobéissance de 1' ancien Adam. C'est pour cela que les Constitutions Apostoliques soulignent qu'il «nous a commandé d'observer le jeûne du mercredi et du vendredi, celui-là en mémoire de la trahison, celui-ci en mémoire de la Passion» (5,14,20). Epiphane explique les raisons d'un tel jeûne qui a été institué «non pas afin d'en faire un don à celui qui a souffert pour nous... mais afin de té­moigner de la Passion du Seigneur subie pour notre salut... et pour que ces jours du jeûne soient pris en considération par Dieu lorsqu'il nous impu­tera nos péchés» (Exposition de la foi, 22. PG 42,825-829). Palladius d'Hélénopolis souligne de manière plus explicite le contenu christo-centrique du jeûne du mercredi et du vendredi: «car c'est un mercredi que le Sauveur fut livré, et c'est un vendredi qu'il a été crucifié. Par conséquent, celui qui ne jeûne pas en ces jours-là participe à la trahison et à la crucifixion du Sauveur» (PG 34, 1148).

Le 69ème Canon apostolique stipule que le prêtre qui «ne jeûne pas le Grand Carême, le mercredi et le vendredi, doit être défroqué, sauf s'il est empêché par une maladie corporelle; s'il s'agit d'un laïc, il doit être excommunié». Jean Zonaras, en commentant ce canon, fait re­marquer qu'«il met sur le même plan le Grand Carême, le mercredi et le vendredi» (Rallis-Potlis, Syntagma, II, 88); et Théodore Balsamon d' ajouter qu' «en ces jours (c'est-à-dire le mercredi et le vendredi) nous avons reçu l'ordre d'observer le régime de la nourriture sèche tout comme pendant le Grand Carême» (op. cit., II, 89). La signification des jeûnes hebdomadaires du mercredi et du vendredi ressort donc du mystère pascal et des moments principaux de la passion du Seigneur. Dans une Réponse du patriarche Nicolas III Grammaticos (1084-1111) aux moines hagiorites, on souligne clairement la tradition patristique, selon laquelle «on ne doit pas rompre le jeûne du mercredi et du vendredi aux fêtes des Saints, mais seulement aux fêtes du Seigneur... Il faut observer les jeûnes prescrits par la tradition, même en temps pascal et dans le «dodecaemeron»: seule la semaine de Pâques est exceptée...» (Pitra, Spic. Solesm. IV, 4).

b) Le jeûne pascal et antépascal.

(1) Le jeûne de la Semaine sainte a été lié aux paroles du Sei­gneur: «des jours viendront, lorsque l'Epoux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront» (Me 2,20; Mt 9,15; Le 5,35); car «en ces jours-là Il nous a été enlevé par les Juifs, au nom trompeur, et a été sur une Croix et compté parmi les hors-la-loi. C'est pour cela que nous vous conseillons de jeû­ner vous aussi en ces jours, comme nous avons jeûné jusqu'au soir, par­ce qu'il a été enlevé en notre sein» (Constitutions Apostoliques 5,19; cf. Tertullien, De oratione, 18. De ieiuniis, 2). Toutefois, il y avait en principe une divergence considérable quant au jeûne d'avant Pâques, car les uns «pensent qu'ils ne doivent jeûner qu'un seul jour, d'autres deux, d'autres plusieurs jours, tandis que d'autres prolongent leur jour de jeûne jusqu'à ce qu'il contienne quarante heures, jour et nuit» (Irénée, Lettre au Pape Victor; Eusèbe, Histoire ecclésiastique, 5,24). Le jeûne de quarante heures commémorait la disparition du Seigneur, c'est-à-dire du vendredi soir au dimanche matin. Cependant, les communautés judéo-chrétiennes commençaient à jeûner dès le lundi, parce qu'on re­gardait ce jour comme point de départ du complot des pharisiens pour faire mourir Jésus. Il est évident que le jeûne d'avant Pâques a été étendu toute la semaine de la Passion, comme on peut en conclure de la Lettre de Denys d'Alexandrie à l'Évêque Basilide, lettre à laquelle une autorité canonique a été reconnue: «...car tous n'observent pas de la même manière les six jours du jeûne; quelques-uns observent un jeûne sévère, c'est-à-dire une totale abstinence de nourriture; d'autres ne jeûnent sévèrement que deux jours, d'autres trois, d'autres quatre, d'autres aucun. On doit pardonner à ceux qui ont observé un jeûne sévère et, n'en pouvant plus, continuent à jeûner d'une manière plus légère, même s'ils ont commencé à prendre plus tôt de la nourriture. Quant à ceux qui non seulement n'ont pas observé un jeûne sévère, mais n'ont même pas jeûné ou ont même festoyé pendant les quatre premiers jours, puis ont observé un jeûne sévère les deux derniers jours, le vendredi et le samedi, et qui considèrent que l'avoir enduré jusqu'à l'aube, c'est avoir réalisé un exploit splendide, je ne crois pas qu'ils ont fait un exer­cice égal en valeur à celui des autres qui ont jeûné pendant le plus grand nombre de jours» (Rallis-Potlis, Syntagma, IV, sqq., où l'on peut lire également les commentaires de Jean Zonaras et de Théodore Balsamon). L'instauration du jeûne de la Semaine sainte rend évidente la participation des fidèles à travers elle à l' obéissance jusqu'à la mort du nouvel Adam, sacrifié pour laver l'homme des conséquences de la dé­sobéissance de l'ancien Adam.

(2) Le jeûne du Grand Carême constitue en principe un cycle de jeûne qu'il faut distinguer du précédent. Il a été développé au cours de la seconde moitié du 3ème siècle en Orient, très probablement en Asie et en Syrie. L'adoption rapide de ce jeûne est prouvée par le 5ème canon du 1er Concile œcuménique de Nicée (325), qui considère comme évidents le nom et le contenu de ce jeûne. Eusèbe de Césarée, se ré­férant à Pâques, souligne: «nous aussi renouvelons chaque année l'impor­tance de la fête par des cycles complets: l'un d'entre eux est consacré à la préparation, à savoir l'ascèse des quarante jours que nous avons reçue comme étant conformé au zèle des saints hommes que furent Moïse et Elie; quant à la fête même, nous en renouvelons éternellement la mémoire» (Sur la fête de Pâques, 4). Ce jeûne a été instauré selon le jeûne de quarante jours du Seigneur (Mt 4,2) et des jeûnes de Moïse (Ex. 34,28) et du prophète Elie (I R. 19,8) qui en furent une préfiguration; ceci afin qu'en lui les fidèles expriment leur participation à l'obéissance du Christ pour le salut du genre humain.

Cette référence spirituelle christocentrique du Grand Carême constitue une déclaration unanime de la conscience de l'Église, telle qu'elle a été exprimée aussi bien à travers la tradition des Pères (Athanase, Basile le Grand, Grégoire le Théologien, Jean Chrysostome, Grégoire de Nysse, Epiphane de Constance, Jérôme, Ambroise, Augustin, Cassien, Cyrille d'Alexandrie et d'autres encore), qu'à travers l'ensemble de l'hymnographie du «Triodion». Le rattachement de ce jeûne à celui de la Semaine sainte, ainsi que les coutumes locales (divergences quant au jeûne de samedi), firent qu'il n'y avait pas d'uniformité absolue quant à la durée et la sévérité de ce jeûne. L'historien de l'Eglise Socrate nous informe qu' «on peut trouver diverses manières d'observer les jeûnes d'avant Pâques: les Romains jeûnent trois semaines avant Pâques, sauf les samedis et les dimanches. Les Illyriens et les habitants de la Grèce, ainsi que ceux d'Alexandrie, jeûnent pendant six semaines avant Pâques; c'est ce qu'ils appellent le 'Carême' ('les Quarante Jours'). D'autres encore, en commençant sept semaines avant la fête de Pâques, ne jeûnent que de manière intermittente pendant trois périodes de cinq jours en appelant, eux aussi, cette période 'Carême'» (Histoire ecclé­siastique, 5,22; cf. Sozomène, Hist. eccl., 7,19). Malgré les différences de durée de ce jeûne, toutes les Eglises le faisaient remonter d'une part au jeûne de quarante jours du Seigneur, d'autre part à sa Passion.

Dans les «Constitutions Apostoliques» il est précisé que «le jeûne du Carême doit être observé, car il contient la mémoire du ministère et de la législation du Seigneur. Ce jeûne doit être observé avant le jeûne de Pâques en commençant le lundi et en finissant le vendredi» (5,13,3). Par conséquent, le jeûne du Grand Carême était au début séparé du jeûne de Pâques, puisqu'il devait être observé «avant le jeûne de Pâques».

La même distinction entre le jeûne de la Semaine sainte et ce du Grand Carême est également faite par Epiphane, qui suggère en plus une différenciation entre elles quant à leur sévérité: «Pendant le Carême», écrit-il, «période qui précède les sept jours avant la sainte Pâque, l' Église a la coutume de jeûner à l'exception des dimanches, même ceux du Carême; quant aux six jours de Pâques, tous les peuples observent la xérophagie» (Exposition de la foi, 22. PG 42, 828). Anastase le Sinaïte (7ème siècle) fait une nette distinction entre le jeûne de la Semaine sainte et le jeûne du Grand Carême, «lequel Carême prend fin à la fête des Rameaux. Car au cours de la Semaine sainte nous jeû­nons en mémoire de la passion du Seigneur, et non à cause du Carême» (Question 64. PG 89, 664). Cependant, cette distinction entre les deux jeûnes a progressivement disparu, au vu de leur proximité tempo­relle et sémantique; et c'est pour cela que ces jeûnes ont été finalement assimilés pour ne former qu'un tout, compris désormais comme l'unique jeûne d'avant Pâques.

Pourtant, le jeûne du Grand Carême a conservé son sens auto­nome comme «contenant la mémoire du ministère et de la législation du Seigneur», c'est-à-dire comme reproduisant son jeûne de quarante jours. Quant à la sévérité du jeûne du Grand Carême, on y remarquait en prin­cipe une certaine largesse aussi bien au sujet du temps exact que de la manière de l'observer. Aussi, selon le témoignage de l'historien de l'Église Socrate, «on peut trouver non seulement des gens qui diffèrent quant au nom­bre des périodes de jeûne, mais aussi des gens distinguant entre les mets dont on doit s' abstenir. Car il y a ceux qui s'abstiennent de tout ce qui est animal; d'autres qui, parmi tous les animaux, ne mangent que du pois­son, d'autres qui, avec le poisson, mangent aussi de la volaille... D'autres encore qui, en jeûnant jusqu'à la neuvième heure, consomment des mets différents... Une telle divergence d'opinion distingue les Egli­ses entre elles» (Hist. eccl., 5,22).

2. Jeûnes spéciaux

Des jeûnes généraux on distingue les «jeûnes spéciaux», qui sont les suivants:

(a) le jeûne de quarante jours de Noël,

(b) le jeûne des Saints Apôtres - dont l'étendue (40 jours en
principe) varie,

(c) le jeûne de la Dormition de la Vierge (15 jours),

(d) les jeûnes de la Décollation de St Jean Baptiste, de la veille
de l'Epiphanie et de l'Exaltation de la Sainte Croix (journaliers).

Ces jeûnes peuvent être qualifiés de spéciaux, aussi bien en rai­son de leur contenu spirituel spécial que de leur application indulgente, en comparaison avec les prescriptions sévères des jeûnes généraux tou­jours. Ces jeûnes, d'ailleurs, sont apparus relativement tard et leur cara­ctère obligatoire pour les fidèles vivant dans le monde a été controversé. Ils étaient sans doute obligatoires pour l'ordre des moines; c'est pour cela que presque tous les premiers témoignages qui les concernent proviennent de représentants du monachisme et sont liés plus étroitement à l'ascèse monastique.

•  Le jeûne de Noël ou de Saint Philippe (nommé d'après ce saint parce qu'il commençait le lendemain de sa fête, le 15 novembre) a été introduit très probablement dans les monastères de la Syrie et de Palestine au cours du 6ème siècle, donc en même temps que son appari­tion dans le contexte de la vie et de l'ascèse des moines monophysites de ces régions (Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, Scriptores Syri II, 91, p. 27sqq.; Assemani, Bibliotheca Orientalis, II, 304sqq.). Ce jeûne est mentionné par l''higoumène du monastère du Sinaï Anastase le Sinaïte (7ème siècle) comme un jeûne controversé (Homélie 4. PG 89, 1396-1397), tandis que Théodore le Studite (9ème siècle) le considère comme étant généralement accepté, du moins dans les cercles monastiques, tout en prescrivant une obéissance plus légère (Didaskalia chroniké, 2,6, PG 99, 1696).

•  Le jeûne des Saints Apôtres est apparu très probablement de la même manière que le précédent et, aussi, à la même époque (6ème siècle), bien qu'on ait quelques témoignages antérieurs concernant le jeûne d'une semaine après la Pentecôte: «Donc, après avoir fêté la Pen­tecôte, fêtez encore une semaine et ensuite jeûnez pendant une semaine. Car il est juste de se réjouir pour le don de Dieu, et, après cette période de repos, de jeûner» (Constitutions Apostoliques, 5,20,14). Les sources monophysites syriaques du 6ème siècle désignent déjà ce jeûne comme le jeûne des Saints Apôtres (Corpus Scriptorum Christianorum Orien­talium, Scriptores Syri, II, 91, p. 51; Assemani, Bibliotheca Orientalis, II, 304 sqq.). Ce jeûne est également cité par Anastase le Sinaïte comme un jeûne controversé (Homélie 4. PG 89, 1396-1397) et, aussi, par Théodore le Studite comme bien établi, du moins dans les cercles monastiques, bien que son observance fût moins stricte (Didaskalia chroniké, 4,6. PG 99, 1696-1697). La durée du jeûne des Saints Apôtres, bien que fixée à quarante jours, variait selon le jour de la célébration de la Pentecôte et par conséquent aussi de Pâques.

•  Le jeûne de la Dormition de la Vierge est apparu plus tard, très probablement de la même manière que les précédents. Ce jeûne, bien que non désigné de manière spécifique mais plutôt vu comme une extension du jeûne des Apôtres, s'étendait dans les cercles monastiques monophysites, jusqu'à la fête de la Dormition de la Vierge. Anastase le Sinaïte connaissait déjà une telle pratique pour les moines orthodoxes également, et c'est pour cette raison qu'il précise: «ce jeûne (le jeûne des Saints Apôtres) était donc observé jusqu'à la Dormition de la Vierge, mais il a été aboli par les saints Pères pour des raisons d'économie» (Homé­lie 4. PG 89, 1397). Ce même auteur mentionne le fait qu'un jeûne a été maintenu pour la période d'avant la fête de la Dormition, mais Théo­dore le Studite dit de manière explicite qu'un tel jeûne était déjà pra­tiqué au moins parmi les moines, tout en précisant qu'il s'agissait d'un jeûne moins sévère (Didaskalia chroniké, 6. PG 99, 1697).

Indépendamment de la crédibilité de ces sources, il est certain que le jeûne de la Dormition de la Vierge avait déjà pris une forme concrète au cours du 8ème siècle. Dans une Réponse du patriarche Nicolas III Grammaticos (1084-1111) aux moines hagiorites, on souligne que «le jeûne d'août s'explique parce qu'autrefois le jeûne se faisait en ce mois, mais il a été transféré à cause de sa coïncidence avec les jeûnes païens, mais beaucoup l'observent encore» (Rallis-Potlis, Syntagma, IV, 488). Cependant, dans un autre manuscrit (Vindobonensis, hist. 7), la Répon­se est tout à fait différente: «Le jeûne qui précède la Dormition est nécessairement de tradition, et beaucoup, les plus soigneux, l'obser­vent; mais lorsque, plus tard, sous Léon le Sage, fut établie la fête de la Transfiguration, précisément en ces jours de jeûne, certains intempé­rants, sous prétexte d'honorer cette fête, en prirent occasion pour man­ger de la viande. Cependant, l'exacte observance commande le jeûne».

•  Les jeûnes journaliers à l'occasion de la Décollation de Saint
Jean Baptiste, de la veille de l''Epiphanie et de l'Exaltation de la Sainte
Croix sont postérieurs. Théodore le Studite ignorait encore le premier
(Didaskalia chroniké, 11. PG 99, 1701), tout en citant expressément les
deux autres (op. cit. 6,7. PG. 99, 1697). Au moment du jeûne de l'Exalttation de la Sainte Croix, «ceux qui appartiennent à l'ordre monastique observent un jeûne ou bien de quatorze, ou bien de douze, ou bien
de quatre jours; tout le reste du peuple de Dieu observe le jeûne le jour
même de l'Exaltation de la Croix, à savoir le 14 septembre; cela pour
glorifier et honorer la Croix de bois» (op. cit., 6. PG 99, 1696).

II. SENS THEOLOGIQUE DES JEUNES GENERAUX

Théodore le Studite (8ème-9ème siècle), s'adressant aux moines de son monastère, a cherché à donner un fondement théologique aux trois jeûnes de quarante jours, c'est-à-dire ceux du Grand Carême, de Noël et des Saints Apôtres; cela selon le modèle des trois jeûnes- du Judaïsme (pains azymes, Pâque, fête des Tabernacles): «c'est pour cette raison, dit-il, qu'on a instauré chez nous également trois périodes de jeûne selon le modèle de la très vivifiante Trinité» (Didaskalia chroniké, 1. PG 99, 1693). Ainsi donc, le jeûne de quarante jours de Noël «pourrait être compris selon le modèle du Père», celui du Grand Carême «pourrait être conçu selon le modèle du Fils unique», celui des Saints Apôtres «se­rait, lui aussi, instauré selon le modèle de l'Esprit donateur de vie, celui-là même qui a enseigné aux Apôtres tous les mystères venant du Père et du Fils» (Didaskalia chroniké, 2-4. PG 99, 1696). Cette interprétation trinitaire des trois périodes de jeûne n'a pas prévalu dans la tradition orthodoxe.

Cependant, le jeûne du Grand Carême a une signification théolo­gique, qui est très caractéristique dans la tradition patristique et l'expé­rience ecclésiale. Les divergences d'opinions initiales au sujet du temps, de la manière d'observer et de la sévérité du jeûne du Grand Carême étaient dues, sans aucun doute, non seulement à la variété des traditions locales (jeûne du samedi) et à son rapport avec le jeûne de la Semaine sainte, mais également à la différence d'interprétation du rapport de ce jeûne avec notre Seigneur Jésus-Christ.

On peut, grosso modo, distinguer sur ce point deux tendances: a) une tendance anthropocentrique, et b) une autre christocentrique.

1. La conception anthropocentrique du jeûne du Grand Carême a été présentée sous forme d'une interprétation centrée autour du concept de l' «apodecatosis» (dîme), selon lequel le jeûne constitue un exercice spirituel du fidèle et est offert au Seigneur par ceux qui s'y soumettent comme la «dixième part» aussi.bien de l'année du Seigneur que de la vie de l'homme: «Afin d'aider nos âmes, les Saints Apôtres ont voulu séparer le dixième des jours de notre vie et, pour ainsi dire, de les consacrer à Dieu. Ils ont donc sanctifié pour nous ces sept semaines de jeune, qu'ils ont séparées des 365 jours de Vannée. Mais, le temps aidant, les Saints Pères ont pensé ajouter à ces semaines une autre supplémen­taire, d'une part comme une sorte d'exercice préparatoire pour ceux qui entreprendront l'épreuve du jeûne, d'autre part afin d'honorer le jeûne par le nombre de 40, équivalent au Grand Carême observé par notre Seigneur. Car si l'on décompte des sept semaines les samedis et les di­manches, il ne reste plus que trente-cinq jours. Donc, en ajoutant le samedi saint ainsi que la moitié de la glorieuse nuit, rayonnante de lu­mière, cela fait trente-six jours et demi; ce qui correspond très exactement à un dixième des 365 jours de Vannée» (Abbé Dorothée, Didaskalia, 15. PG 88, 1788). C'est ainsi qu'une ligne de la tradition patristique met l'accent sur le caractère plus ou moins ascétique du jeûne et le voit comme un moyen normal d'ascèse, qui est inséparable des autres pratiques traditionnelles de l'ascèse chrétienne.

Une telle conception du Grand Carême, compris comme une «apodecatosis» de l'année et une offrande à Dieu, a prévalu en Occident (Cassien, De remissione quinquagesimae, Collatio 21,128. PL 49, 1204 ; Grégoire le Grand, Homélie sur l'Evangile, 16. PL 76, 1137); c'est la raison pour laquelle à Rome on observait jusqu' aux débuts du 8eme siècle un jeûne de 36 jours. En Orient, cette interprétation de l' «apodecatosis» de l' année trouva un écho même dans les hymnes du «Triodion » («….c' est la dixième part de l'année... pour la rédemption de nos péchés, pour le début de notre salut». — «Les portes du divin repentir se sont ouvertes... offrons la dixième part de toute l'année au Roi de tout l'univers, afin que nous puissions contempler aussi sa résurrection tant désirée»). Ainsi, cette interprétation, malgré le fait que l'Eglise a fait valoir la conception et l'interprétation christocentrique du Grand Carême, a pu influencer la spiritualité orthodoxe (Syméon de Thessalonique, Contre toutes les hérésies, Question 48; Calliste et Ignace Xanthopoulos, Méthode et Canon 33. PG 147, 704 ; Matthieu Vlastaris, Syntagma kata stoicheion T/e, in Rallis-Potlis, Syntagma, VI, 406 sqq.). Cependant, Saint Jean Damascène (Sur les saints jeûnes, PG 95, 67sqq.) désapprouve cette interprétation.

2. La conception christocentrique du jeûne du Grand Carême était fondée sur l'acceptation générale de ce jeûne comme élément essentiel de la vie des fidèles en Christ, «parce qu'il contient la mémoire du ministère et de la législation du Seigneur». Cette valeur du jeûne a sa source non pas, bien sûr, dans ses répercussions habituelles — morales ou sociales — plus ou moins partielles, mais principalement dans la place tout à fait particulière qu'il occupe dans le mystère de la divine économie.

Cependant, on n'oubliait pas ses répercussions sociales. Déjà au 2ème siècle, Hermas donne un témoignage très intéressant sur la prati­que du jeûne et sur le lien établi entre jeûne et aumône: «Le jour où tu jeûneras, tu ne prendras rien, sauf du pain et de l'eau, et tu calculeras le prix des aliments que tu aurais pu manger ce jour-là et tu le mettras de côté pour le donner à une veuve, à un orphelin ou à un indigent» (Pasteur, similitudes, 5, 1-5). Tertullien, dans son ouvrage sur le jeûne, défend les pratiques montanistes et fait une âpre satire des pratiques ecclésiastiques du jeûne. L'idée dominante est que le jeûne est une manifestation authentique de la pénitence, qui répare le péché ori­ginel: «Qui douterait de la raison, dit-il, de toutes les macérations en fait de nourriture? L'abstention de nourriture et l'observation du précepte expient le primordiale delictum, et l'homme satisfait à Dieu par cela même qu'il l'avait offensé, c'est-à-dire par l'interdiction de nourriture» (De ieiunio adversus psychicos, 3,4).

Saint Basile — comme d'ailleurs tous les Pères de l'Eglise — lie l'institution du jeûne au commandement de Dieu au premier couple: «Le commandement 'vous ne mangerez point' est une législation consacrant le jeûne et l'abstinence». C'est pour cela que le jeûne n'a pas seulement «le même âge que l'humanité», mais aussi «a été une loi promulguée au Paradis». Car «si Eve avait jeûné en s'abstinant du fruit de l'arbre, nous n'aurions pas maintenant besoin de ce jeûne» (Sur le jeûne, 1,3. PG 31, 165-168). Par conséquent, le jeûne est une institution fondée par Dieu déjà au cours de notre état d'avant la chute, car, selon Gré­goire le Théologien, «nous avons commencé à jeûner, parce que (alors) nous n'avons pas jeûné en résistant au fruit de l'arbre de vie. Car le commandement était déjà ancien, Dieu nous l'ayant donné en même temps que notre création comme une sorte d'exercice pédagogique pour notre âme» (Homélie 45, Sur la Sainte Pâque, 28. PG 36, 661).

La désobéissance à ce commandement divin perpétrée par l'huma­nité dans l'ancien Adam a eu comme conséquence directe la chute du premier couple et, à travers lui, de tout le genre humain; c'est pour cela que «cette (première) nourriture a été la mère de la mort pour les hommes» (Grégoire de Nysse, Sur la création de l'homme, 20. PG 44, 220). Ainsi donc, l'ancien Adam qui, en respectant le commandement de Dieu, serait resté «immortel, infatigable et indissoluble» pour l'éternité, une fois le commandement divin transgressé «reçoit à la place de la vie éternelle la mort, et à la place de l'opulence sans mélange le péché, cet état de choses plein de passions et de souffrances» (Grégoire Palamas, Homélie 6, Invitation au jeûne. PG 151, 81); cela, car c'est justement le péché qui a conduit les premiers hommes «à la perte du don de la vie et à l'aliénation de la grâce divine» (Grégoire Palamas, Homélie 13, A l'occasion du 5ème dimanche de Carême. PG 151, 157; Anastase le Si­naïte, Question 64. PG 89, 661).

Origène souligne que les chrétiens doivent jeûner non pas selon la loi juive, mais selon l' Evangile, c'est-à-dire en union avec le Christ, grand prête: «En jeûnant, tu dois aller vers ton Christ, le grand prête...et par lui tu dois offrir ton sacrifice à Dieu» (In Leviticum, hom. 10). Aphraate (IVe siècle) met l'accent sur le caractère christocentrique du jeûne: Jésus-Christ «a jeûné pour nous et il a vaincu notre ennemi; il nous a ordonné de jeûner et de veiller en tout temps pour que nous parvenions par la vertu de ce jeûne pur à son repos» (Demonstratio IV, de ieiunio, Patrolpgie Syriaque I, 135). Par conséquent, tout comme le première désobéissance au com­mandement divin avait pour l'homme comme résultat la fin de la vie dans le Paradis et la rupture de la communion avec Dieu, de même par l' obéissance du nouvel Adam la désobéissance de l'ancien Adam est récapitulée et dépassée: «Car, étant donné que la mort s'est introduite par la désobéissance de l'homme, exactement pour la même raison elle est exorcisée par l' obéissance du deuxième homme. C'est pour cela que celui-ci fut obéissant jusqu'à la mort, afin qu'à travers l' obéissance il puisse guérir la faute issue de la désobéissance; et par sa résurrection des morts faire disparaître la mort introduite par la désobéissance» (Grégoire de Nysse, Homélie réfutant l'enseignement d'Apollinaire. PG 45, 1165).

C'est dans le sens de la guérison de la désobéissance et de l'accom­plissement de l'obéissance que Jésus-Christ a jeûné pendant quarante jours: «c'est pour cela qu' il (le Christ) ne tolère pas qu'on jeûne pendant un plus grand nombre de jours, mais juste pendant ce nombre-là, afin de nous éduquer à travers cet exercice, Jésus ayant lui aussi revêtu la même chair que nous et n'ayant pas vécu en dehors de notre nature» (Jean Chrysostome, Homélie sur la Génèse, 1,3. PG 53,24). Maxime de Turin (vers Pan 420) reproduit ces idées des Pères orientaux: «Ce que le premier homme avait perdu en mangeant, le second Adam le recouvre en jeû­nant, et il garde au désert la loi de l'abstinence donnée au Paradis» (Sermo 50a. CCL 23, 202-204). C'est ainsi que le jeûne quadragésimal est aussi un moyen de participer à la Croix du Christ et au mystère pascal. L'évêque de Rome Léon indique aussi cette perspective du jeûne quadragésimal: «Ces jeûnes solennels sont institués afin que, par une commune participation à la Croix du Christ, nous aussi nous coopérions à ce qu'il a fait pour nous» (Sermo 34 (47), 9. SC 49, 60).

C'est dans cet esprit que la tradition orthodoxe consacre au mystère de la Croix du Christ le troisième dimanche du Carême. Pendant le jeûne quadragésimal, on vit dans une concentration spirituelle pour se préparer à ce qui va venir avec la passion de Jésus-Christ. Il est très caractéristique que cette liaison étroite du jeûne quadragésimal avec le mystère pascal et la Croix du Christ soit aussi accentuée dans la spiri­tualité des Eglises non-chalcédoniennes. Sévère d'Antioche († 538) voit le jeûne comme une participation du fidèle au jeûne du Christ et à la croix. C' est pourquoi celui qui jeûne rend à la création sa gloire primi­tive (Homélie 68. PG 8, 367-388) et participe aux «noces mystiques» entre le Christ et l'humanité (Homélie 92. PG 25, 28-43).

Il s'ensuit que le jeûne de quarante jours de notre Seigneur Jésus-Christ n'était pas un simple modèle pédagogique comme cela fut le cas avec le premier commandement divin dans le Paradis; par le fait qu'il est lié à la guérison de la désobéissance advenue en la personne de l'ancien Adam, par l'obéissance il devient un élément organique du mystère de la divine économie en Christ pour la rédemption du genre humain. Par le jeûne de quarante jours, le nouvel Adam n'offre pas tout simplement l'exemple d'un exercice spirituel pour le perfectionnement moral de l'homme, mais il guérit la désobéissance de l'ancien Adam par son obéissance. Le jeûne n'est plus un simple moyen pour la réussite de la vie des fidèles en Christ, mais un élément essentiel, organique et inaliénable du con­tenu même de la vie en Christ et de l'effort spirituel en vue de l'éléva­tion de l'«image» à la «ressemblance», c'est-à-dire de la restauration de la nature humaine corrompue par la désobéissance de l'ancien Adam dans la beauté originelle d'avant la chute, celle de la communion con­tinue avec Dieu; cette beauté, justement, à laquelle l'obéissance du nouvel Adam a rétabli l'homme.

C'est ainsi que celui qui fait l'expérience de la plénitude de la vie en Christ dans l'Eglise — selon la proclamation paulinienne («ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi») — fait aussi l'expérience de l'obéissance du Christ, dont le jeûne est un élément organique, afin qu'à travers elle «nous puissions jouir par l'obéissance de ce que nous avons perdu par la désobéissance» (Grégoire le Théolo­gien, Homélie 45, sur la Sainte Pâque, 28. PG 36, 661). La chute de l'ancien Adam, par sa désobéissance, «d'un état naturel à l'état dénaturé» (Jean Damascène, Exposition de la foi orthodoxe, 3,14. PG 94, 1045) rend évident le fait que, à travers la participation à l' obéis­sance du Christ, le fidèle revient de l'état dénaturé à l'état naturel, c'est-à-dire à l'état d'avant la chute, «à l'image et à la ressemblance».

Ce caractère sotériologique essentiel du jeûne a été clairement affirmé par notre Seigneur Jésus-Christ non seulement par son obéis­sance, mais aussi par la déclaration que des jours viendront, lorsque les disciples doivent jeûner (Le 5,34; Me 2,18-19; Mt 9,15), c'est-à-dire pendant le temps qui s'écoulera entre la crucifixion et la résurrection et, aussi, entre l'ascension et la seconde venue, étant donné que la présence du Seigneur exclut le jeûne («peut-on faire jeûner les fils de la chambre nuptiale pendant que l'Epoux se trouve parmi eux?»).

Par conséquent, par le commandement divin donné au premier couple dans le Paradis, «Dieu, en créant l'homme, l'a déposé, dès le début, entre les mains du jeûne, comme entre les mains d'une mère affectueuse, confiant à cette meilleure des maîtresses d'école qui soit le salut de l'homme» (Jean Chrysostome Homélie 5,1, Sur le jeûne. PG 49, 307). Ce commandement a été donné, «afin que le jeûne puisse veiller sur la vie et la grâce divine introduites en lui par Dieu» (Grégoire Palamas, Homélie 13, pour le 5ème dimanche de Carême. PG 151, 157). De même par l' obéissance du Christ le jeûne a été élevé au rang de gardien et de nourrice de la nouvelle vie en Christ et d'effort pour rétablir la nature humaine dans sa beauté originelle de la communion continuelle avec Dieu.

Les paroles de Clément d'Alexandrie sont très significatives sur ce point: «Le jeûne», dit-il, «est une abstinence de nourriture comme le ter­me même l'indique. En soi, la nourriture ne nous rend ni plus justes ni plus injustes. Mais, selon son sens mystique, il signifie que, tout comme la nourriture est pour chacun de nous symbole de vie, et la privation de nourri­ture symbole de mort, de même nous aussi devons nous abstenir par le jeûne des choses du monde afin de mourir au monde et ensuite, après avoir goûté à la nourriture divine, vivre en Dieu» (Eclogae. PG 9, 704-705). Cette compréhension christocentrique du jeûne est un véritable canon de toute la littérature patristique, très bien résumé par Grégoire Palamas: «Lorsque tu jeûnes, ne sois pas simplement quelqu'un qui souffre et qui meurt avec le Christ, mais aussi quelqu'un qui ressuscite et règne avec le Christ pour les siècles des siècles. Car, si par le jeûne tu es devenu un avec lui à la ressemblance de sa mort, tu participeras aussi à sa résur­rection et deviendras héritier de la vie en lui» (Homélie 13, pour le 5ème dimanche de Carême. PG 151, 161).

 

III. DIFFERENTIATIONS DES DIVERS JEUNES DANS LA CONSCIENCE ECCLESIALE

1. Distinction dans la conscience ecclésiale.

Les différentiations entre le jeûne du Grand Carême et des autres périodes de jeûne — à savoir: de Noël, des Saints Apôtres et de la Dor­mition de la Vierge — que connaissent la tradition et la pratique de l'Eglise sont très significatives de la différence qui existe au sujet de l'évaluation et des fondements théologiques de chacune de ces deux grandes catégories de jeûne. Ainsi:

a) La célébration de la divine Liturgie est sévèrement interdite
par des canons des Conciles œcuméniques et locaux pour tous les jours
de jeûne du Grand Carême à l'exception du samedi et du dimanche.
Une telle interdiction n'existe pas lors des périodes de jeûnes spéciaux
de Noël, des Saints Apôtres et de la Dormition de la Vierge.

Le canon 49 du Concile de Laodicée (4ème siècle) stipule qu' «il est interdit d'offrir le Pain au cours du Grand Carême, si ce n'est le samedi et le dimanche». Cette même interdiction canonique est renouvelée par le canon 52 du Concile in Trullo (692), qui stipule que «pendant tous les jours de jeûne du Grand Carême, le samedi, le dimanche ainsi que la fête de l'Annon­ciation exceptés, on ne doit célébrer que la Liturgie des Présanctifiés». Jean Zonaras, en commentant ce canon, souligne très à propos: «Les jours de jeûne sont des jours de deuil et ont été prescrits pour donner l'occasion au recueillement en vue du pardon des péchés de chacun; par contre, offrir des sacrifices à Dieu est une sorte de fête, donc de joie. Comment est-il donc concevable qu'on puisse simultanément être en deuil et se réjouir? C'est pour cela que pendant le Carême on ne célèbre d'autre Liturgie que celle ses Présanctifiés. Au cours de cette Liturgie il n'y a comme sacrifice non-sanglant que celui qui a déjà été offert et célébré et qui est aussi offert pour une seconde fois. Les exceptions sont les samedis et les dimanches, le jeûne étant interdit en ces jours; par conséquent, il est alors permis d'offrir le sacrifice et de célébrer une Liturgie au plein sens du terme» (Rallis-Potlis, Syntagma, II, 427).

Le contraste est frappant avec les jeûnes de Noël, des Saints Apôtres et de la Dormition de la Vierge. Dans ces cas, il n'existe pas de défense de célébrer la Liturgie et c'est pour cette raison que Théo­dore Balsamon, dans son commentaire sur le canon précité du Concile in Trullo, souligne: «Nous devons conclure à partir du présent canon qu'à proprement parler, il n'y a qu'un seul jeûne de quarante jours. Car si le canon voulait signifier qu' il y en a d'autres à côté de lui, il aurait précisé que là aussi il est interdit de célébrer la Liturgie du parfait sacrifice et que la Liturgie des Présanctifiés est la seule permise; tout comme il a été stipulé dans le cas du Grand Carême d'avant Pâques» (Rallis-Potlis, Syntagma, II, 428).

b) La célébration de la mémoire des Saints au cours des jours de jeûne du Grand Carême est sévèrement interdite par le canon 51 de Laodicée (4ème siècle) qui stipule qu' «il est interdit de célébrer pendant le Grand Carême l'anniversaire des martyrs; la mémoire des saints martyrs ne doit être célébrée (durant cette période) que le samedi et le dimanche». Théodore Balsamon, en commentant ce canon, sou­ligne que «les Pères ont décrété qu'on ne doit fêter tout au long du Carême par le sacrifice ni la mémoire ni l'anniversaire des martyrs, sauf le samedi et le dimanche» (Rallis-Potlis, Syntagma, II, 219); cela - selon Jean Zo­naras - parce que «la mémoire des saints est un événement joyeux. Par contre, durant les jours de jeûne, il faut être en deuil et non pas se réjouir» (op. cit., 427). Par cette constatation, Jean Zonaras résume toute la tra­dition patristique concernant le caractère joyeux de la célébration de la mémoire des martyrs. Théodore Balsamon, dans le commentaire du canon 52 du Concile in Trullo, précise qu' «en conformité avec ce canon, les monastères à la règle stricte chantent et lisent les canons et les récits des fêtes et des mémoires des saints {synaxaires) qui correspondent à toute la durée du Grand Carême avant le dimanche de la Tyrophagie» (op. cit., II, 428).

Par contre, en ce qui concerne les périodes des jeûnes de Noël, des Saints Apôtres et de la Dormition de la Vierge, non seulement on n'a pas de prescriptions semblables, mais le problème n'est même pas posé dans la pratique ecclésiale.

c) Toute Ordination à n'importe quel degré sacerdotal est sévèrement défendue pendant les jours de jeûne du Grand Carême, donc pendant tous les jours au cours desquels la célébration de la divine Liturgie est interdits. Théodore Balsamon a une opinion très tranchée à ce sujet: «Les canons ne permettent pas de célébration eucharistique pendant toute la période de jeûne des quarante jours, sauf au cours des samedis et des dimanches et de la fête de l'Annonciation. C'est pour cela qu'en ce qui concerne les jours précités on pourra célébrer des ordinations sans blâme, le sacrifice mystique de l'Eucharistie étant également célébré. Par contre, pour ce qui est des autres jours de jeûne, on ne peut célébrer d'ordination de prêtre et encore moins d'évêque; ceci en raison du fait qu'on ne célèbre pas non plus de liturgie eucharistique. Car l'ordination est une occasion de réjouissance et de glorification de Dieu, puisqu' elle confère des offices spirituels aux saints» (Questions-Réponses, 56. PG 138, 1004).

Il n'y a pas de prescriptions analogues en ce qui concerne les périodes de jeûnes spéciaux.

d) La célébration du sacrement du Baptême est admise pendant
le Grand Carême uniquement par économie et dans des cas d'extrême urgence. Le jeûne quadragésimal est lié étroitement dans la conscience ecclésiale avec la préparation immédiate des catéchumènes au baptême, qui durait, d'après le témoignage du Testamentum Domini, quarante jours, ainsi qu'avec la pénitence de pénitents, qui étaient admis à être réconciliés le Jeudi Saint. Le canon 45 du Concile de Laodicée stipule qu' «il n'est pas permis de baptiser après la deuxième semaine du Grand Carême» (Rallis-Potlis, Syntagma, III, 212sqq., où l'on trouve aussi les commentaires des canonistes Jean Zonaras, Théodore Balsamon et Aristénos). Théodore Balsamon, dans son commentaire du canon précité, souligne que de saint Baptême est un signe de la mise au tombeau et de la résurrection du Seigneur. C' est pour cela qu' il a été prescrit que les baptêmes seront célébrés le samedi saint, jour intermédiaire entre la mise au tombeau et la résurrection du Seigneur. Ceux donc qui s'apprêtent à être baptisés au cours du samedi saint doivent être purifiés par le jeûne et l'ascèse pendant tout le Grand Carême» (op. cit., III, 313).

Ce n'est que dans des cas tout à fait exceptionnels qu'on peut célébrer le baptême par économie: «Les canons prévoient que les baptê­mes seront célébrés pendant le samedi saint. Si, cependant, une mort imminente rend urgente la célébration du baptême, celui-ci pourra être célébré également durant un autre jour du Carême; même ceux auxquels une pénitence était infligée et qui ont été condamnés à ne pas recevoir l'Eucharistie sont aidés par le mystère de la mort à avoir accès au sacrement de la Sainte Communion» (Théodore Balsamon, Questions-Réponses, 55. PG 138, 1004).

La sévérité de telles prescriptions est étrangère à l'esprit des autres jeûnes de l'année.

•  La commémoration des défunts est également interdite pendant la période du Grand Carême, tout en étant permise pendant les autres jeûnes, selon le commentaire de Théodore Balsamon au canon 51 du Concile de Laodicée. Le canoniste décrit cette pratique comme suit: «Pendant tout le Carême, sauf les samedis, on ne commémore point les morts» (Rallis-Potlis, Syntagma, III, 219).

•  L'interdiction de célébrer le sacrement du Mariage prescrite par le canon 52 du Concile de Laodicée («il est interdit de célébrer des mariages ou des anniversaires pendant le Carême») a prévalu dans la pra­tique ecclésiale. Contrairement aux jeûnes de Noël, des Saints Apôtres et de la Dormition de la Vierge, il n'y a pas d'interdiction canonique pour la célébration des mariages (Théodore Balsamon, Questions-Répon­ses, 55, PG 138, 1004). D'ailleurs, cette interdiction a un rapport étroit avec l'effort spirituel des fidèles pour atteindre la continence absolue, même dans les rapports entre époux (Théodore Balsamon, Questions-Réponses, 50. PG 138, 997).

On peut conclure de ce que nous venons de dire que la conscience ecclésiale a toujours fait une distinction nette entre les jeûnes généraux, prévus par les canons (mercredi et vendredi, Grand Carême et Semaine sainte) et les jeûnes spéciaux (Noël, Saints Apôtres, Dormition de la Vierge, Exaltation de la Sainte Croix, veille de l'Epiphanie et fête de Saint Jean Baptiste). Comme nous venons de le dire, elle a élevé cette distinction en critère absolu en ce qui concerne non seulement la sévé­rité du jeûne, mais aussi ses répercussions sur l'ensemble de la vie de l'Eglise.

Les jeûnes généraux ont été canoniquement consacrés comme obligatoires par des décisions conciliaires et, malgré les distinctions faites dans les détails quant à l'étendue et la sévérité du jeûne, ils ont été théologiquement fondés et sont ecclésialement incontestables. C'est ainsi que les jeûnes du mercredi, du vendredi et du Grand Carême, y compris celui de la Semaine sainte, ainsi que leurs répercussions sur l'ensemble de la vie de l'Eglise, ont été réglés de manière très stricte par une série de canons de Conciles œcuméniques et locaux (1er Concile de Nicée, 5; Concile in Trullo, 29,52,89; des Apôtres, 69; de Laodicée 49, 50,51,52; de Denys d'Alexandrie, 1; de Pierre d'Alexandrie, 15; de Timothée d'Alexandrie, 8,10 etc.) et ont été théologiquement fondés dans la très riche littérature patristique ainsi que dans l'hymnographie de l'Eglise.

Par contre, les jeûnes spéciaux, bien qu'introduits progressive­ment déjà depuis le 6ème siècle, n'ont jamais été ratifiés, comme nous allons le voir, par un organe conciliaire, et ont été propagés principa­lement par des représentants de l'ordre monastique. Ils n'ont pas été, par conséquent, intégrés organiquement à la tradition théologique de l'Eglise, et leurs répercussions sur la vie générale de l'Eglise n'ont pas été réglées de manière analogue à celle des jeûnes généraux. C'est pour­quoi leur caractère obligatoire pour les fidèles vivant dans le monde a été contesté pendant plusieurs siècles.

 

2. Mise en question des jeûnes spéciaux au sein de l' Eglise

Au 7ème siècle, Anastase le Sinaïte, higoumène du Monastère du Sinaï, devenu par la suite patriarche d'Antioche, a fait la liste des réserves, généralement très violentes, non seulement des hiérarques, mais également des moines eux-mêmes, au sujet de l'instauration des autres jeûnes de quarante jours, c'est-à-dire celui de Noël et celui des Saints Apôtres: «Récemment l'idée est venue à certains des nôtres d'en­seigner sans rougir et sans en avoir honte qu'il n'y a qu'un seul jeûne, transmis par les Saints Apôtres et les divins Pères, celui qu'on appelle le Grand (c'est-à-dire le Grand Carême). Par contre, ils affirment que le jeûne de Noël (nommé aussi par certains «jeûne de saint Philippe»), ainsi que le jeûne qui précède la fête des Saints Apôtres Pierre et Paul n'existent pas, car ils ne remontent pas à un décret apostolique et patristi­que, mais ne sont que l'invention de quelques moines et des volontés arbitraires de ceux qui les observent. C'est pour cela qu'une partie de ceux qui résistent au commandement de Dieu s'abstiennent pendant dix-huit jours de consommer uniquement de la viande, du fromage et des œufs; durant un-jour; d'autres encore ne jeûnent que douze jours, d'autres six et d'autres quatre. Tous ces gens ne sont pas que des laïcs ou des incon­nus et des illettrés; mais ils sont aussi ceux qui se vantent de leur élo­quence et de leur grande sagesse et qui se donnent des airs. J'entends par là des évêques, des métropolites, des prêtres, des diacres et, en général, des clercs, et peut-être même des moines, pour qui leur ventre est leur Dieu; et qui ne se contentent pas d'être seuls dans l'erreur, mais qui gagnent à leur cause des masses de personnes non informées, afin de partager leur péché avec d'autres» (Homélie 4. PG 89, 1392).

Les arguments d'Anastase le Sinaïte en faveur des jeûnes spé­ciaux ne sont pas convaincants: pour le jeûne de Noël, il invoque l'œuvre apocryphe «Cycles (periodoi) de Philippe» (PG 89, 1396-1397); pour le jeûne des Saints Apôtres, le témoignage précité des Constitutions dont, cependant, il omet de mentionner qu'il ne s'agit là que d'un jeûne d'une seule semaine. Car, tandis que les Constitutions stipulent qu'il faut «après la Pentecôte fêter une semaine et, après cette semaine, en jeûner une autre», Anastase le Sinaïte passe sous silence la précision tempo­relle selon laquelle il s'agit d'«une» seule semaine («et après cette semaine jeûner»), afin de renforcer sa position selon laquelle, avant la fête des Saints Apôtres, le jeûne est de quarante jours.

Anastase le Sinaïte savait également non seulement qu'il y avait coïncidence du jeûne observé après la Pentecôte par des moines orthodo­xes d'Orient avec les périodes de jeûne précitées, observées par des moines «hérétiques» (arméniens, jacobites et nestoriens), mais aussi que ces jeûnes avaient été abolis «par les Saints Pères pour des raisons d'économie», d'une part «parce que ces jeûnes coïncidaient avec les jeûnes des païens» et d'autre part «à cause de la négligence et du manque d'empressement des hommes» (PG 89, 1397). Cette «négligence» et ce «manque d'empresse­ment» désigne, sans aucun doute, comme nous le verrons, les réserves surtout des moines et non des fidèles vivant dans le monde.

Vers la fin du 12ème siècle, le canoniste renommé et patriar­che d'Antioche Théodore Balsamon, dans son commentaire au 69ème Canon apostolique, fait remarquer: «il faut noter au sujet du présent canon qu'il n'y a, à proprement parler, qu'un seul jeûne, celui des qua­rante jours, autrement dit de Pâques. Car s'il y en avait d'autres à côté de ce jeûne, le canon en aurait fait mention. Cependant, si nous jeûnons également pendant les autres périodes de jeûne, c'est-à-dire celle des Saints Apôtres, celle de la Dormition de la Vierge, et celle de Noël, nous n'en aurons pas honte» (Rallis-Potlis, Syntagma, II, 89-90).

Cette prise de position canonique du patriarche d'Antioche et célèbre canoniste Théodore Balsamon traduit le doute intense préva­lant dans les milieux ecclésiastiques, même au 12ème siècle. Près de six siècles environ après l'apparition des jeûnes spéciaux dans le cadre des cercles monastiques d'Orient, on discutait donc toujours quant à la validité canonique de ces jeûnes. Plus particulièrement:

•  Le Synode dit «Endémoussa» de Constantinople, durant le patriarcat de Nicolas III Grammaticos (1084-1111), dut affronter le problème du caractère obligatoire — même pour les moines— des jeûnes spéciaux sur la base de «quelques questions posées par certaines personnes vivant en ascèse hors de la ville». Les «Réponses à ces questions données par le Saint Synode de Constantinople» sont très significatives. A une «question» de ces moines («s'il est obligatoire de jeûner en août»!...), la «Réponse» du Synode «Endémoussa» a été négative, même pour le cas des moines: «En effet», y lit-on, «on observait jadis le jeûne en cette période de l'année, mais depuis il a été transposé, afin de ne pas coïncider avec les jeûnes observés par les païens à cette même période. Malgré cela, il existe encore quelques personnes qui continuent à observer le jeûne en question» (PG 138, 940). Par conséquent, au 12ème siècle déjà, le jeûne de la Dormition de la Vierge n'avait pas encore revêtu le statut d'un jeûne ratifié par les canons et n'était pour les fidèles qu'un simple jeûne facultatif; pour cette raison il n'était observé que par «quelques personnes».

Remarquons pourtant (et c'est là, sans aucun doute, un détail très significatif) que le Synode «Endémoussa» considère ce jeûne: (1) comme ayant été institué dans le passé par l'Eglise, au moins pour les moines («on observait jadis le jeûne en cette période de l'année») et (2) comme ayant été transposé par décision ecclésiastique à une autre période de l'année ou assimilé à un autre jeûne de quinze jours (très probablement au jeûne de quatorze jours de l'Exaltation de la Sainte Croix), et ceci en raison de sa coïncidence avec des jeûnes «païens» (c'est-à-dire hérétiques). La «Réponse» de l'«Endémoussa» prouve qu'un jeûne spécial même décrété canoniquement peut, par décision ecclésiastique, soit être transposé, soit perdre son caractère obligatoire, non seulement pour les fidèles, mais même pour les moines et être maintenu pour tous comme jeûne facultatif, ce qui ne pourra jamais être le cas avec les jeûnes généraux (c'est-à-dire ceux du Grand Carême, du mercredi et du vendredi).

b) La question des jeûnes spéciaux a été posée à nouveau à l'assemblée synodale des «hiérarques se trouvant sur place» à l'époque du patriarche Luc Chrysovergès (1156-1180), en présence de l' empereur Manuel 1er Comnène (1143-1180), assemblée au cours de laquelle les membres du Synode ont soutenu des opinions opposées: «Quelques-uns d'entre eux soutinrent que nous ne sommes pas obligés de jeûner en raison de la transposition citée dans la Réponse; d'autres, par contre, rétorquèrent que nous devons nécessairement jeûner. Le Saint Synode affirme sans hésiter que jadis il y a eu, en effet, un jeûne en cette période de l'année, un jeûne transposé, n'ayant pas précisé comment et à quelle date cette transposition a eu lieu. Quant au patriarche et aux hiérarques, ils ont déclaré que le jeûne du mois d'août est nécessaire, renforçant leur opinion par le «Tomos» d'Union, qui stipule que ceux qui ont contracté on troisième mariage doivent communier trois fois par an: à Pâques, à la fête de la Dormition de la très Sainte Vierge et à la naissance de notre Seigneur Jésus-Christ; ceci, parce que ces fêtes-là sont précédées par un jeûne dont l'observance est utile. Et comme quelques-uns continuaient à douter, parce qu'on ne trouve nulle part le nombre des jours de ce jeû­ne, le très saint patriarche prit la parole et affirma que, bien qu'aucun texte ne fixe les jours du jeûne en question ainsi que ces du jeûne de Noël, nous sommes tenus de nous conformer à la tradition non écrite de l'Eglise et de jeûner respectivement depuis le 1er août et depuis le 14 no­vembre» (Théodore Balsamon, Questions, 3. PG 138, 941). Ainsi donc, le Synode «Endémoussa», réuni sous le patriarcat de Luc Chrysovergès, a introduit par décision synodale la durée du jeûne de quinze jours de la Vierge et le jeûne de quarante jours de Noël, sans rien mentionner au sujet du jeûne des Saints Apôtres.

Toutefois, cette décision du Synode «Endémoussa» de Constantinople, tout en fixant la durée de ces deux jeûnes, n'a pas pour autant souligné leur caractère obligatoire pour les fidèles; cela parce qu'il ne pouvait pas fonder une telle décision sur une tradition patristique et ec­clésiale antérieure, malgré le fait que les jeûnes en question non seulement étaient attestés par Théodore le Studite mais, en plus, étaient strictement observés dans le monastère de Studion, à Constantinople. Il est hors de doute que le Synode «Endémoussa» ne considérait pas les jeûnes institués dans les «Typica» (Règles) des monastères, à l'usage des moines, comme obligatoires pour les fidèles laïcs. Cela explique aussi le fait que le Synode en question ait mis en rapport sa décision précitée sur le jeûne avec le pouvoir discrétionnel de l'évêque du lieu d'appliquer sans autre l'économie ecclésiale non seulement en ce qui concerne la sévérité quali­tative, mais aussi la durée du temps des jeûnes. C'est la raison pour laquelle elle a décrété que «si nous sommes obligés de transgresser le jeûne pour des raisons de santé, les jours précités pourront être raccourcis après un encouragement de l'évêque, car cela aussi fait partie de la tradi­tion ecclésiale non écrite» (op. cit., PG 138,941).

•  La même question préoccupait d'ailleurs vivement même les milieux monastiques dépendant de la juridiction administrative du patriarcat de Constantinople, puisqu'on la voit soumise au patriarche Théodore Balsamon d'Antioche par le docte moine Théodose de Sarapion, retiré pour son ascèse personnelle au célèbre centre monastique de l'époque, situé tout près de Chalcédoine et connu sous le nom de «montagne d'Auxence». Le patriarche d'Antioche Théodore Balsamon lui fit connaître «par une lettre» ses positions canoniques à ce sujet, tout en prenant soin de les «assurer par des doctrines et des enseigne­ments puisés dans les Saintes Ecritures» (PG 138, 941).

•  Malgré cette décision-synodale, le patriarche Marc d'Alexandrie dans ses «Questions canoniques» soumises à Théodore Balsamon, a reposé la question du caractère obligatoire ou non des jeûnes spé­ciaux: «Les jeûnes», écrit-il, «de la fête des Saints Apôtres, de Noël, de la Dormition de la Vierge, et du Sauveur, sont-ils nécessaires ou bien facultatifs et indifférents?» (Questions, 53. PG 138, 1001). Cela signifie clairement que, dans le cadre de la juridiction administrative du pa­triarcat d'Alexandrie, ces jeûnes spéciaux n'étaient pas encore consi­dérés comme «nécessaires» pour les fidèles, et c'est pour cela que la question posée au patriarche d'Antioche par le patriarche d'Alexandrie se réfère directement à la décision précitée du Synode «Endémoussa» de Constan­tinople, convoqué sous le patriarcat de Luc Chrysovergès (1156-1169).

•  Le patriarche d'Antioche Théodore Balsamon (1185-1199) qui, en sa qualité de canoniste, a été au centre des discussions et déci­sions ecclésiales sur les jeûnes spéciaux, a été contraint de réexaminer le problème, surtout après la décision du Synode «Endémoussa» et des réactions négatives qui en ont découlé. Après une étude appropriée, il parvint à certaines conclusions canoniques importantes à ce sujet, qu'il résuma dans une lettre envoyée au docte moine Théodore de Sarpion du centre monastique de «la montagne d'Auxence», ainsi que dans sa réponse à la question 53 du patriarche Marc d'Alexandrie: «Moi, donc, après cela (c'est-à-dire après la décision du Synode «Endémoussa»), ayant examiné d'où et comment sont parvenus jusqu'à nous ces deux jeûnes (c'est-à-dire le jeûne de la Dormition de la Sainte Vierge et celui de la Nativité du Christ Notre Dieu, mais aussi celui qui précède la fête des Saints Apô­tres), et ayant cherché à savoir si nous sommes obligés de jeûner au cours de celles-ci et pour combien de jours, j'affirme que le jeûne de ces quatre fêtes est nécessaire, mais que le nombre de jours n'est pas pour tous le même, comme c'est le cas du Grand Carême; que tous les fidèles, simples laïcs et clercs, sont obligés de jeûner sept jours avant ces fêtes sous peine d'être exclus de la communion des fidèles orthodoxes; et que les moines, contraints à cela par les 'typica' de leurs monastères, doi­vent jeûner davantage, à savoir depuis la fête de la Toussaint et de­puis le 14 novembre; cela en conformité avec leur 'typica' et même contre leur volonté, cet exercice étant tout aussi conforme aux canons que salu­taire; de même les laïcs qui jeûnent de leur propre gré dans ces mêmes cas acquièrent ainsi par ce jeûne un mérite» (PG 138, 941).

f) Le canoniste patriarche d'Antioche formula sa position sur les jeûnes spéciaux non, bien sûr, dans le sens d'une consultation canonique théorique sur le problème soulevé, mais comme une décision pastorale responsable prise en sa qualité de patriarche d'Antioche. C'est la raison pour laquelle il communiqua cette décision par une Encyclique patriarcale «à tout le clergé et les autres fidèles du Trône de la Grande Antioche » (PG 138, 943-944). Par cet acte ecclésial du patriarche d'Antioche le cadre canonique obligatoire des jeûnes spéciaux de l'année (ce qui veut dire: tout ce qui s'étend au-delà des jeûnes généraux déjà canoniquement fixés) a été défini. Il comprend uniquement un jeûne obligatoire de sept jours précédant les fêtes (a) de Noël, (b) des Saints Apôtres, (c) de la Transfiguration, et (d) de la Dormition de la Vierge. Ces jeûnes devaient être respectés par tous les fidèles (clercs, moines et laïcs) tout en laissant une marge pour prolonger le temps du jeûne dépendant de la volon­té de chacun. Cette réglementation n'abolissait pas le régime de jeûne plus étendu imposé par les «typica» rédigés par les fondateurs de cer­tains monastères, étant donné que les moines vivant dans un mona­stère étaient obligés, qu'ils le veuillent ou non, observer strictement les commandements sur le jeûne du 'typicon' du monastère où ils s'étaient retirés.

C'est ce point de vue canonique que soutint le patriarche d'Antioche dans sa Réponse à la question précitée du patriarche Marc d'Alexandrie: «...on doit fermement admettre l'existence de périodes de jeûnes précédant ces quatre fêtes, à savoir celle des Saints Apôtres, celle de Noël, celle de la Transfiguration du Christ notre Dieu, et celle de la Dormition de la Vierge. Mais elles sont des périodes de sept jours. Car un seul jeûne s'étend sur les quarante jours, celui des Saintes Pâ­ques. Si, cependant, quelqu'un voulait jeûner au-delà de sept jours pour la fête des Saints Apôtres et pour celle de Noël, soit de son propre gré, soit poussé par un 'typicon' imposé par le fondateur du monastère, celui-là ne sera pas réprouvé» (PG 138, 1001).

Ãéá åíçìÝñùóç ó÷åôéêÜ ìå ôá íÝá, ôéò åêäçëþóåéò, ôéò åêäüóåéò êáé ôï Ýñãï ìáò ðáñáêáëïýìå óõìðëçñþóåôå ôá ðáñáêÜôù óôïé÷åßá. Ãéá ôïõò üñïõò ðñïóôáóßáò äåäïìÝíùí äåßôå åäþ.