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L'Abjuration du Moine Nil de Calabre

Nina G. Garsoïan, Byzantinoslavica XXXV, 1974, p. 13- 27

II y a déjà fort longtemps que la figure indistincte du moine Nil de Calabre s'est profilée sur la scène philosophique et religieuse de Constantinople vers la fin du XIe siècle, bien que les renseignements à son sujet fussent rares et imprécis. Anne Comnène, notre source principale jusqu'a ces dernières années, prétend ignorer son origine (1), alors que Nicetas Choniates, probablement poussé par le commentaire de la princesse que la doctrine de Nil s'etait déversée «comme un torrent de perversité», ne résiste pas au calembour inspire par le nom du moine et en fait un Egyptien (2). Du récit de l'Alexiade il est en outre possible de découvrir que Nil était apparu à Constantinople après la deuxième condamnation du savant Jean Italos en 1082, qu'il avait fourvoyé par ses idées sur l'union hypostatique divers membres de l'aristocratie byzantine, qu'il avait eu à faire avec des Arméniens résidant à Constantinople et qu'il avait finalement été condamné comme hérétique à un synode convoqué par l'empereur Alexis I entre 1084 et 1094 (3). Bien qu'il fut préservé dans le Synodikon de l'Orthodoxie connu depuis la fin du dix-neuvième siècle, l'anathème contre Nil et ses confrères n'ajoutait rien à 1'information d'Anne Comnène sur la doctrine condamnée, dont Nicetas Choniates avouait ne plus se souvenir (4).

Se fondant sur ces sources, la plupart des savants n'a fait que jeter coup d'oeil sur Nil, comme sur un personnage insignifiant de la querelle des philosophes et du clergé, dominée par les figures autrement intéressantes et connues de Jean Italos et du métropolite Eustrate de Nicee. Pour eux, Nil n'est qu'un pale épigone d'ltalos, bien au-dessous du niveau intellectuel de son maître. Dans la longue querelle sur la divinisation [ θέωσις ] de la nature humaine du Christ — par nature ou par adoption [κατά φύσιν— κατά θ έσιν] — qui agitait alors Constantinople, l'association de Nil avec Italos et avec les Arméniens suggérait qu'il avait opté pour la première définition et que sa doctrine condamnée penchait en quelque sorte vers le monophysisme (5). Aucune modification n'a été apportée à cette thèse traditionnelle malgré la brève mention du procès de Nil dans l'opuscule de Nicetas d'Heraclée contre Eustrate de Nicée et les trois scholies contemporaines interpellant Nil, trouvées parmi les textes de Maxime le Confesseur (6). Ce n'est qu'avec l'abjuration même du moine, retrouvée par Jean Gouillard, qu'une nouvelle interprétation du problème a pu etre amorcée (7).

Renversant l'opinion de ces prédécesseurs et s'appuyant surtout, mais non pas exclusivement, sur le texte de l'abjuration, l'exégèse de Gouillard s'est portée particulièrement sur deux points. D'un cote, il dissocie catégoriquement Nil et les Armeniens qui comparaissent a son procès (8). De l'autre, l'analyse des divers anathèmes de l'abjuration et des scholies, ainsi que l'invocation contre Nil d'un passage de Grégoire de Nazianze, lui permettent de corriger la lecture précédents du texte d'Anne Comnène, où il faut voir selon lui la condamnation du moine pour avoir refusé d'abandonner la doctrine «que l'humanité du Christ n'a pas été déifiée de nature», au lieu du contraire. La somme de ces indices l'amène donc à rejeter du tout au tout la thèse monophysite sur Nil pour en faire un «avatar... nestorien» (9).

L'interprétation de Gouillard a largement contribué à avancer nos connaissances au sujet de Nil et de sa doctrine. La distinction entre Nil et les Arméniens est une étape fondamentale pour la compréhension du problème, car l'image des Arméniens donnée par les sources byzantines à cette époque est invariablement entachée de monophysisme (10).

Malgré certaines ambiguïtés sur lesquelles nous reviendrons bientôt, une lecture minutieuse du texte de l'Alexiade nous permet de soutenir l'hypothèse de cette division, car les termes dont Anne Comnène se sert pour décrire les rapports entre Nil et les maitres Arméniens, Tigrane et Arsace, les éloignent mutuellement plus qu'ils ne les rapprochent. Ni les «controverses» entre eux (11), ni la «provocation» conséquent aux Arméniens de s'enfoncer dans leur propre hérésie (12), ni le commentaire de la princesse que les erreurs des deux étaient «entrelacées» (13), ne nous portent à croire que la doctrine des deux partis était identique. En outre, il faut noter, malgré les affirmations de nombreux savants à ce sujet, que les Arméniens tout en étant présents au procès de Nil n'y furent pas condamnés avec lui. Une distinction entre accuses semble insoutenable dans les circonstances, de sorte que la scène décrite par Anne Comnène gagne en vraisemblance s'il s'agissait en réalité d'une confrontation ou les Arméniens auraient fait figure d'accusateurs (14). Tous ces éléments empruntes a la mise en scène du procès semblent soutenir d'emblée la thèse de Gouillard sur l'impossibilité de réconcilier l'abjuration de Nil avec une doctrine monophysite.

De même, s'il ne nous est plus possible de rattacher Nil aux Arméniens, il nous est également indispensable de revoir le r61e traditionnel qui lui est attribué dans la querelle philosophique et théologique du onzième siècle, ainsi que ses relations avec Jean Italos et Eustrate de Nicée. Ce n'est pas mon intention de soulever ici les problèmes épineux des idées d'ltalos, ni celles d'Eustrate et de sa «nouvelle» hérésie (15), mais seulement de remettre en question la participation de Nil a une affaire que la plupart des chercheurs s'accordent à voir comme savante plutôt que religieuse. Nil n'est jamais nommé explicitement comme élève d'ltalos, comme c'est le cas pour Eustrate de Nicée. Au contraire, Anne Comnène souligne que le Calabrais était «sans maitre» et son nom ne se trouve pas parmi ceux des disciples d'ltalos énumérés lors de son procès (16). Toute l'animosité de la princesse byzantine envers le «barbare» italien ne réussit pas à lui faire cacher qu'Italos, le «consul des philosophes», était un homme «extrêmement savant» et «passe maitre dans l'art de la dialectique». Elle loue aussi Eustrate de Nicee comme «un homme savant dans les sciences sacrées et profanes, plus fort en dialectique que ceux qui fréquentaient le Portique ou l'Académie». Alors que Nil n'est qu'un pauvre moine illettré qui «ignorait complètement l'art de raisonner» (17). Le grief principal énonce contre Italos et son école était de s'être voués aux lettres helléniques au point de les élever au-dessus de l'autorité des pères, tandis que Nil «s'adonna(nt) uniquement à l'étude des Saintes Ecritures, ignorait complétement la culture hellénique» (18). Aux yeux de ses contemporains Nil ne faisait donc pas partie du courant intellectuel dont Italos était le phénix, et sans attacher trop d'importance à sa prétendue ignorance, c'est dans un autre milieu qu'il me semble devoir le rechercher.

L'hypothèse de la séparation de Nil et de ses contemporains rehausse la valeur du bref commentaire de Nicétas d'Heraclée selon lequel Nil aurait nié avoir su que toute discussion sur la divinisation avait été interdite par l'Eglise. Ce détail est habituellement négligé comme sans valeur ou peu digne de foi. Pourtant son inclusion n'est pas exigée par le contexte et la scène de Nil avec ses confrères se roulant en vain aux pieds du patriarche et des évêques semble prise sur le vif (19). Mais le seul moyen de croire les protestations d'ignorance de Nil vers 1087 serait de postuler son absence de Constantinople en 1082 lorsque la question avait été tranchée au procès d'ltalos. Nil serait donc un étranger nouvellement arrive dans la capitale. Tout nous porte à le croire. Anne Comnène ignore son origine et l'opinion indignée par la condamnation d'ltalos ne s'émeut guère à son sujet. Lui-même se dit Calabrais et ce lien géographique est à retenir soigneusement (20).

Avant de nous hasarder plus loin dans cette étude, il nous sied encore de noter que la dissociation de Nil et d'ltalos, comme son éloignement des Arméniens, nous laisse encore face à des problèmes que la thèse néo-nestorienne de Gouillard ne nous permet pas de résoudre entièrement, toute importante et suggestive qu'elle ne soit. Le plus sérieux parmi ceux-ci est la nécessité d'expliquer la contradiction apparente du texte d'Anne Comnène. Car, si Gouillard a bien démontré que Nil face au basileus refusa catégoriquement de rétracter sa doctrine que l'humanité de Jésus «n'a pas été déifiée de nature» (21), la princesse n'en dit pas moins quelques lignes auparavant que Nil prêchait l'erreur d'une déification «par nature» (22). La solution «nestorienne» ne s'avère donc pas plus satisfaisante dans ce cas que l'hypothèse «monophysite». II ne faut d'ailleurs pas prendre au pied de la lettre l'accusation de nestorianisme dirigée contre Nil dans son Abjuration (23). Le clergé érudit qui en dicte les termes au pécheur repenti relève parmi ses croyances la doctrine erronée de deux fils (l'un humain — l'autre divin) dans le Christ (24) et, suivant une tradition ecclésiastique bien connue, attribue la culpabilité ultime au père officiel de cette hérésie, Nestorius lui-même. D'après la même méthode, il remonte aux sources de l'orthodoxie pour citer Grégoire de Nazianze, comme le fait également Maxime le Confesseur dans un des passages interrompus par le scholiaste anonyme (25). De pareilles attributions anachroniques fourmillent dans la polémique byzantine, mais plutôt que de nous livrer d ces excursions livresques, il nous semble plus utile de revenir une fois de plus aux idées de Nil lui-même afin de voir si elles ne se rattachent pas davantage à une hérésie contemporaine et s'il a réellement opte définitivement et exclusivement pour une position «physite» ou «thésite» dans sa doctrine.

Au préalable, il est fort intéressant d'observer la place occupée par l'anathème contre Nil et ses confrères dans les additions au texte primitif du Synodikon de l'Orthodoxie, surtout dans le cas du manuscrit de Vienne muni d'interpolations auquel Gouillard attribue le sigle Cc (26). Inaugure par la condamnation d'un certain Gerontios de Lampe qui aurait semé la zizanie en Crète, les additions continuent avec onze anathèmes diriges contre Jean Italos et ses disciples ou Cc intercale un anathème contre le prêtre Bogomile (entre le 3e et le 4e article de la condamnation d'ltalos] et un second, contre «les Bogomiles qui se trouvent à Panormos et contre le catepan» ou «dans le catepanat» (entre le lle et le 12e) (27). Suivent dans Cc deux articles concernant ceux qui emploient des filtres et des charmes ainsi que ceux qui pratiquent les arts magiques, puis la condamnation de Nil. Celle-ci est enfin suivie dans le texte par cinq anathèmes d'un Synodikon provincial pour une métropole non identifiée, que l'on associe d'habitude avec les bogomiles (28).

Disparates à première vue, ces anathèmes révèlent pourtant certains liens entre eux et d'abord celui de leur cadre Italo-Méditerranéen. IΙ est vrai que les derniers anathèmes se rattachent à une métropole inconnue, mais Italos, comme aussi Nil, est originaire de l'ltalie méridionale (29), ou il faut probablement localiser également les bogomiles de Panormos (30). De même, les anathèmes intercales contre les magiciens sont probablement à rapprocher d'un passage de Léon le Diacre sur les magiciens «manichéens» de Crète, la terre d'élection de Gerontios de Lampe (31). La proximité chronologique de toutes ces manifestations d'hérésie a déjà été observée par Gouillard (32). Enfin, omettant pour le moment les cas d'ltalos et de Nil, toutes peuvent être associées en quelque sorte aux sectes contemporaines des neo-pauliciens ou des bogomiles (33). Ainsi, malgré les doutes de Gouillard, Gerontios, originaire de la région de Lampe les pauliciens sont signalés depuis le huitième siècle, peut se rapprocher également d'eux par sa conception de l'hérésiarque comme d'un Christ (34). L'accusation de manichéisme lancée contre les magiciens crétois du dixième siècle par Léon le Diacre les associe de même aux pauliciens, dont c'est le nom courant dans les sources byzantines de l'époque (35). Le prêtre Bogomile et les bogomiles de Panormos sont identifiés explicitement et, enfin, les cinq anathèmes qui suivent la condamnation de Nil s'adressent à une doctrine que Gouillard attribue elle aussi «au fonds communs du paulicianisme et du bogomilisme » (36). Elle est même probablement plus proche de la première hérésie, car les cinq anathèmes du Synodikon reproduisent quasi textuellement et dans le même ordre un groupe introduit dans la formule mixte d'abjuration, intitulée par moi «the Manichaean Formula », et touchant particulièrement à des pauliciens (37). C'est sur ce fond neo- ou para-paulicien partagépar ses voisins dans les additions au Synodikon qu'il nous faut revoir la confession de Nil de Calabre (38).

Le premier article de l'abjuration de Nil porte sur te dogme de la déification de la nature humaine du Christ «par adoption» qu'il avait professé dans son Florilège disparu et qu'il abjurait maintenant explicitement (39). Cette position doctrinale est confirmée par la lecture du deuxième passage sur la déification dans Anne Comnène corrigé par Gouillard. Or, cette doctrine de l'adoption du «fils de Marie» comme «Fils de Dieu», qui réduit Jésus au niveau d'une simple créature et sépare catégoriquement ses deux personnes, est un des éléments fondamentaux de la doctrine des pauliciens a son origine; elle est attestée par leur propre manuel, la Clef de la Vérité, ainsi que par leurs adversaires tant Grecs qu'Arméniens (40). Non seulement fait-elle partie de la doctrine paulicienne classique, mais les imprécations du roi Gagik d'Arménie au milieu du onzième siècle:

Si quelqu'un affirme que l'homme a d'abord été créé, et qu'ensuite Dieu est entre en lui pour y habiter, qu'il soit condamne, car il nie la naissance de Dieu, et fuit l'incarnation. Si quelqu'un admet deux fils, l'un (sorti) de Dieu le Père, l'autre (né] d'une mère, et non un seul et le même, qu'il soit exclu de l'adoption promise aux orthodoxes. II y a deux natures, car il y a (en Jésus Christ) un Dieu et un homme,... mais les fils ne sont par deux, et Dieu n'est pas deux, mais bien un seul (41), démontrent qu'elle était encore courante à l'époque de Nil qui confesse l'avoir partagée. Le même point de doctrine se trouve à nouveau condamné dans le troisième anathème de Nil:

Quiconque énonce cette ineptie qu'après la résurrection Notre Seigneur Jésus Christ a connu l'apothéose et a reçu la divinisation en récompense de sa vie vertueuse, anathème (42)

et il est rejeté par Gagik dans une formule presqu'identique:

Si quelqu'un prétend que (seulement) après le baptême ou la résurrection d'entre les morts, il est devenu digne d'adoption (comme Fils de Dieu), qu'il soit anathème (43). De la séparation du Christ en deux personnes découle logiquement la négation que la Vierge Marie soit la «Mère de Dieu». C'est cette hérésie que Nil anathématise par deux fois dans sa confession (44). C'est également une croyance dont les pauliciens sont systématiquement accusés par leurs adversaires et que flétrit le roi Gagik:

Si quelqu'un estime aussi que Marie, la mère de Dieu, la sainte Vierge est éloignée de la divinité, qu'il soit anathème (45).

Enfin le dernier point confesse par Nil appartient à la même conception christologique. Si Jésus n'est qu'une créature adoptée ou déifiée en récompense de ses vertus, la même déification peut être accordée à d'autres créatures humaines. Cette croyance horrifie particulièrement les autorités ecclésiastiques. Nil l'abjure par trois fois (anathèmes 2, 4, 6) (46) et deux des scholies préservées s'y adressent (47). De nouveau, c'est précisément le même point que les polémistes grecs et arméniens relèvent parmi les pauliciens lorsqu'ils notent avec la même horreur que les hérétiques adorent leur chef comme un Christ (48). L'abjuration de Nil:

Quiconque dit que les hommes vertueux sont divinises de la même divinisation que le Christ, anathème (49) semble dirigée contre la définition même des élus pauliciens dans la Clef de la Vérité:

Or il est nécessaire que celui qui baptise soit élu selon les paroles du Père céleste à son Fils bien aimé (Luc 9, 35) «Celui-ci est mon Fils élu» (50).

De même que la doctrine de Nil est parfaitement conforme aux dogmes principaux du paulicianisme classique, sa perversion de textes en eux-mêmes orthodoxes dans son Florilège (51) rappelle la mise en garde des polémistes sur les pauliciens qui, disent-ils, se servent toujours de textes irréprochables mais les faussent par leur interprétation et doivent donc être questionnes avec une vigilance particulière (52). En méthode comme en doctrine Nil se rapproche donc invariablement des pauliciens.

II est vrai que certains aspects caractéristiques du paulicianisme, l'iconoclasme, le refus du baptême orthodoxe, ne figurent pas dans l'abjuration de Nil (53), et sa doctrine ne s'accorde pas toujours exactement avec celle de Byzance au onzième siècle. Néanmoins, elle est parfaitement reconnaissable. C'est bien à une confession de type paulicien que nous avons à faire ici. Elle est cohérente et accuse les trais fondamentaux de cette doctrine: la christologie adoptianiste avec ses conséquences logiques, la dénigration de la Théotokos et la divinisation potentielle de tout litre humain.

Ceci dit, il nous est possible de préciser davantage l'«avatar paulicien» représenté, par Nil et d'expliquer par la même la contradiction apparente que nous avions notée plus haut dans le texte de l'Alexiade. Loin de se tromper en attribuant simultanément à Nil une conception de la déification «par nature» et «par adoption» (54), Anne Comnène ne fait que décrire les différents aspects de la doctrine du Calabrais plus exactement que ses successeurs. Ainsi que nous l'avons déjà observé, l'article sur les deux fils dans l'abjuration de Nil, confirme par la Confession de Gagik d'Arménie, insiste sur une étape définie dans l'apothéose de Jésus. Cette étape se situe soit au moment de son baptême soit à celui de la résurrection d'entre les morts (55). C'est à ce moment que le fils humain de Marie devient, par grâce et adoption, véritable Fils de Dieu. Mais, si le mode de l'apothéose est l'adoption, son effet est la disparition de la nature humaine, soit par la mort soit par 1'absorption dans la nature divine. A l'instant même de la déification obtenue par grâce, les deux fils de la confession de Nil s'unissent en un seul qui est entièrement divin de nature, ou, autrement dit, le fils de Marie par l'intermédiaire de 1'adoption se fond entièrement à ce moment dans le Verbe divin (56).

Cette position, à première vue paradoxale, de Nil avec sa réunion d'une christologie adoptioniste «nestorianisante» avant la transformation avec une christologie apparemment «physite» ou même «mono-physite» après, le rattache encore une fois au courants pauliciens contemporains qui tendent à évoluer dans le neo-paulicianisme byzantin vers une christologie de-humanisée, voir docétique, tout en préservant, du moins en Arménie, la tradition primitive de l'adoption de Jésus (57). La synthèse particulière du paulicianisme de Nil nous fournit un stage possible dans ce passage malaise de l'adoptionisme vers le docétisme, ou, à plus grande échelle, du monde nestorianisant au monde para- monophysite.

Cette synthèse nous suggère également des solutions à de nombreuses difficultés. Ainsi, elle clarifie une fois pour toutes la double lecture d'Anne Comnène et, entre autres, le passage ou la princesse observe très justement qu'il y a dans les idées de Nil une erreur fondamentale dans la conception de l'union hypostatique qui porte aussi bien sur «l'hypostase», ici dédoublée, que sur «l'union», qui devient une «fusion» (58). L'ambiguïté de la doctrine de Nil explique aussi le malentendu des Arméniens «monophysites» qui accueillent au préalable Nil comme un des leurs, se fondant sur le deuxième stage, divin, de sa doctrine, puis le repoussent avec horreur en découvrant la division «nestoriano-paulicienne» qui précède cette unité. Enfin, la transformation de la nature de Jésus au moment de la grâce dans la doctrine de Nil nous offre une explication d'un passage bien connu mais jusqu'ici peu compréhensible de l'ecrivain contemporain, Grégoire Magistros ou il accuse les pauliciens arméniens qu'il poursuivait de dire aux orthodoxes:

vous ne comprenez pas le mystère du baptême. Nous n'avons aucune hâte de baptiser, car le baptême c'est la mort (59).

Puisque les pauliciens aussi bien que Nil croyaient, comme nous venons de le voir, à la divinisation potentielle de tous les élus, pour ceux-ci, comme pour leur prototype Jésus, le moment de l'adoption divine devenait nécessairement celui de la mort de la nature humaine.

Elevant l'envergure du problème au-dessus du cas particulier, l'aspect le plus intéressant de la doctrine de Nil telle qu'elle se présente maintenant est de nous forcer à revoir la question plus étendue de la querelle sur la théose «par nature» ou «par adoption» et de nous demander si les termes «physeos» et «theseos» sont bien à traiter comme des antithèses et non comme des compléments? Ainsi que nous venons de le suggérer, Nil, thésite jusqu'au moment de la grâce, devient physite à l'instant précis de l'adoption divine. C'est ce qu'Anne Comnène tache de nous expliquer tant soit peu maladroitement dans sa double définition. C'est ce qu'a vu bien plus clairement et explicite- ment le scholiaste anonyme de Maxime le Confesseur. Commentant un passage qui condamne en même temps les deux fils «nestoriens» et la fusion «monophysite», le scholiaste y associe Nil qu'il traite à ce sujet de «physithesites» (60). La qualification ne pouvait guère être plus précise ni plus probante.

Un dernier retour ici à l'origine calabraise de Nil nous fournit un élément historique supplémentaire pour préciser encore plus rigoureusement la forme particulière de son paulicianisme. Les sources byzantines et normandes nous signalent à plusieurs reprises la présence de pauliciens en Italie méridionale. Venus pour la première fois en 885, immédiatement après la prise de leur capitale Tephriké, ils figurent parmi les troupes du premier Nicephore Phocas. Ils réapparaissent en Sicile en 963 sous l'empereur du même nom (61). Enfin, les troupes recrutées en Calabre par le catepan Michel Dokeianos au moment de l'invasion normande de 1041 comprenaient elles aussi des effectifs pauliciens (62). II n'y a donc rien d'incongru dans la suggestion que Nil était venu récemment à Constantinople d'ltalie, comme 1'avait fait plus tôt Italos, et qu'il avait reçu ses notions doctrinales, non pas dans les cercles cultives de la capitale, mais dans une ambiance paulicienne ou tout au moins paulicianisante de sa Calabre natale. Nous retrouvons donc dans ses idées des éléments du paulicianisme militaire des provinces frontières de l'Anatolie orientale influence aussi bien par la tradition primitive survivante en Arménie que par le neo-paulicianisme greco-byzantin apparu au neuvième siècle (63), et ces origines doublement provinciales aident à expliquer les divergences de certains aspects de son paulicianisme de la doctrine des milieux intellectuels de Constantinople.

Plus particulièrement, les pauliciens de Calabre sont accusés par Guillaume de Pouilles de sabellianisme. Cette accusation, qui est habituellement prise comme un indice d'inclinaison purement monophysite, ne l'est pas nécessairement et il n'y a pas lieu de corriger la description normande contemporaine (64). Héritier de l'école d'Antioche, le paulicianisme classique justifiait sa christologie adoptioniste par un monarchianisme rigoureux qu'il avait reçu de son précurseur Paul de Samosate (65). De ce même monarchianisme est née historiquement l'hérésie de Sabellius dans laquelle le véritable Fils divin ou Logos n'est qu'un mode de la divinité unique, qui est de ce fait préservée de toute division (66). A Constantinople aussi, Euthyme Zigabène dans sa Panoplie dogmatique accuse de sabellianisme les «messaliens» contemporains qu'Anne Comnène associe à son tour avec les pauliciens (67). Si nous rapprochons maintenant le paulicianisme «physithesite» de Nil du paulicianisme «sabellien» du milieu calabrais d'où il est sorti, le mouvement doctrinal tend à se préciser. Parti d'un adoptionisme «nestorien», la christologie calabraise reconnait une déification «de nature», apparemment para-monophysite, au moment de l'adoption. Mais la disparition même de la nature humaine à cet instant tourne nécessairement cette christologie en une théologie qui est bien celle du modalisme sabellien (68). Le problème change radicalement d'aspect au moment où il transcende la christologie et ce n'est plus de monophysisme qu'il s'agit. Nous arrivons ainsi, précisément comme l'a décrit Guillaume de Pouilles, à un paulicianisme sabellien réconciliant une christologie adoptioniste avec une théologie monarchienne, exactement comme le faisait l'école d'Antioche d'où découle le paulicianisme primitif (69).

Ainsi Nil et son «Physithesitisme» n'ont guère besoin d'être expliqués par les jeux d'esprit de Jean Italos et des intellectuels. II n'y a pas lieu de lui chercher des liens lointains avec Nestorius ou de le rattaché aux Arméniens, ni de faire de lui un philosophe constantinopolitain.

Nous pouvons maintenant revenir au personnage présente par Anne Comnène et décrit par lui-même: Un moine peu érudit, mais d'une vertu austère, ayant apporté du fond de l'ltalie méridionale une doctrine encore fortement entachée d'un paulicianisme désuet et qui, de ce fait, avait perdu pied parmi les écueils intellectuels de la capitale byzantine. Néanmoins, sa carrière obscure et malheureuse nous fournit un aperçu remarquable sur l'évolution doctrinale et sur le côtoiement de la philosophie et de 1'heresie a Byzance au onzième siècle. Elle nous offre peut-être aussi un nouveau mode pour nous attaquer aux nombreux problèmes suscités par les querelles contemporaines au sujet de la théose.


NOTES

(1)Anne Comnène, Alexiade, B. Leib ed. et trad., Paris 1943, X, i, I,... Ἀνήρ δέ οὗτος... οὐκ οἶδα μέν ὅ θεν...

(2) Idem, «… Ἐπείδέ τήν ἐκκλησίαν ὥσπερ τι ρεῦμα κακίας ὁ Νεῖλος ἐκεῖνος ἐπικλύζων...», Nicetas Choniates, «Thesaurus fidei orthodoxae», Codex Bodl. Thomas Roe, 22 f 380v. Je dois la copie de ce manuscrit que je n'ai pas pu consulter personnellement à l'obligeance de M. Jean Gouillard auquel je tiens à exprimer ma reconnaissance. Cf. F. Uspenskij, Cuhoduk e nedeluio., Odessa 1893 (dorenavant Sinodik ], p. 112; P. Joannou, Aus den uneditierten Schriften des Psellos: Das Lehrgedicht zum Mebapfer und der Traktat gegen die Vorbestimmung der Todesstunde, Byz. Zeitschr. LI [1358] 10—11 qui suit Nicetas ; et surtout, J. Gouillard, Le Synodikon de l'orthodoxie, 1e partie — texte, 2e partie — commentaire, Travaux et mémoires, II, Paris 1967 dorénavant, Synodikon ou Gouillard, Commentaire], pp. 202—203.

(3) Alexiade, X, i-vi. La date de condamnation de Nil se place entre l'accession du patriarche Nicholas III en 1084 et la guerre contre les Cumans n 1094. La date donnée d'habitude est 1087. Cf. Grumel, Les Regestes des actes du patriarcat de Constantinople, I, iii, 1947, 1945, p. 45. Mais J. Darrouzès, Documents inédits d'ecclésiologie byzantine, Paris 1966, p. 58, suivi par Gouillard, Commentaire, p. 203, souligne que ‘…la condamnation du moine Nil et de… ne sont datées que par approximation'.

(4) Sinodik — Synodikon, p. 61, 11. 248—249: «... Τοῖς δογματισθεῖσι δυσσεβῶς παρά τοῦ μοναχοῦ Νείλου πᾶσι καί τοῖς κοινωνοῦσιν αὐτοῖς, ἀνάθεμα». Nicetas Choniates, Thes. fid. orth., xxiii, Cod. Bodl. Thos. Roe, 22, f. 380v, «... ἀπέλιπον ἡμᾶς αἱ βίβλοι καί τῆς ἡμετέρας μνήμης ἀπέστησαν». Cf. Sinodik, pp. 112—113; Gouillard, Commentaire, p. 202.

(5) Cf. F. Uspenskij, S. Petersbourg 1892, pp. 185 sqq. et Sinodik, pp. 128, 141, 146—147, 154, 157; F. Chalandon, Essai sur le règne d'Alexis Comnène, 1081—1118, Paris 1900, p. 318; G. Buckler, Anna Comnena : A Study, Oxford 1929, pp. 324—329; S. Salaville, Philosophie et théologie ou épisodes scolastiques à Byzance de 1059 à 1117, Echos d'Orient XXIX (1930) 146, 148—149; M. Jugie, Theologia dogmatica christianorum orientalium, II, Paris 1933, pp. 651 et 652T. Husssev, Church and Learning in the Byzantine Empire, 867—1185, Londres 1937, p. 95; Grumel, Regestes, I, iii, p. 45; P. Stephanou, Jean Italos philosophe et humaniste, Rome, 1949, p. 53, et al. Nil est invariablement représenté comme un disciple d' ltalos et un adhèrent a la doctrine de la divinisation de nature, d'après l'interprétation du texte d'Anne Comnène et son association avec les Arméniens qui ferait de lui un «...espèce d'avatar monophysite», Salaville, S. Ο., XXIX, p. 149. Ni Chalandon, Essai, p.318, ni Uspenskij, Sinodik, p. 147, qui associe pourtant Nil avec les bogomiles, ni Salaville, loc. cit.. citant Chalandon, ne distinguent entre Arméniens, « sectes orientales», pauliciens, ou bogomiles, dans leurs discussions; nous reviendrons sur ce point par la suite.

Malgré l'évolution de leurs interprétations, P. Joannou, Le Sort des évêques hérétiques réconciliés. Un discours inedit de Nicetas de Séries contre Eustrate de Nicée, Byzantion XXVIII (1958) 5—6, continue à faire de Nil un descendant d' ltalos quoiqu'il voie son condisciple Eustrate de Nicée comme nestorianisant, et Gouillard lui-même, Commentaire, pp. 202, 206, présente Nil, bien qu'avec certaines réserves, comme «l'héritier spirituel» d' ltalos, tout en rejetant, comme nous verrons, la thèse κατά φύσ ιν et l'interprétation monophysite de Salaville, Ibid., pp. 204, 206.

(6) Nicetas d' Heraclée, Sur les hérésiarques, public d'abord par Joannou, Byzantion XXVIII (1958) 8—30 et réédité par Darrouzès, Documents, pp. 276—305 (edition citée dans cet article), où le passage concernant Nil se trouve à la fin, p. 304. Les scholies se trouvent dans les textes suivants de Maxime le Confesseur, à Quaestiones ad Thalassium, P. G., XC (1865), col. 661. A, scholion se rapportant au texte col. 348BC,.. Βλέπε τό μυστήριον · βλέπε τήν ἀγχόνην τῶν Φυσιθεσιτῶν βλέπε τοῦ Ἰταλοῦ καί τοῦ Νείλου τόν θάνατον. b) Expositio orationis dominicae, ibid., col. 905D, scholie en marge, « Ἄ κο υ ε, Νε ῖ λε ; c) Opuscula theol ο gica et polemica, PG. XCI (1865), col. 37D, scholion se rapportant au texte col. 33B, «... Περί θεώσεως. Ἀκούσαις δέ τούτων καί σύ, Νεῖλε καί φρονήσαις ἅ φρονοῦσιν οἱ τῆς ἀλήθειας διδάσκαλοι».

Dans son commentaire sur le Sinodik publié bien avant la première édition de Nicetas d' Heraclée, Uspenskij, p. 146, présume que Nil devait savoir que toute discussion sur la divinisation avait été interdite par le synode de 1082, alors que Nicetas, Documents, p. 304 rapporte que Nil avait énergiquement proteste son ignorance: « ἐπί τῷ Νείλῳ καί τοῖς ἀδελφοῖς αὐτού,... ἀγνοεῖν διαβεβαιούμενοι ὅτι κατά τήν τῆς ὀρθοδοξίας κυριακήν μετά τῶν ἄλλων ἀναθεματίζονται καί οἱ πολυπραγμονοῦντες τίνα τρόπον ἐθεώθη τό πρόσλημμα, φύσει ἤ θέσει, οὐκ ἐδέχθησαν παρά τῆς τότε ἱερᾶς συνόδου,... χαμαί πίπτοντες καί τοῖς πατριαρχικοῖς ποσί καί τῶν ἄλλων ἀρχιερέων κυλινδούμενοι καί συγγνώμην αἰτοῦντες.. Les scholies sont mentionnées par Stephanou, Jean Italos, p. 53, mais elles ne modifient guère sa position sur la doctrine de Nil.

(7) L‘Abjuration du moine Nil le Calabrais, Appendice II, Travaux et mémoires II, Paris 1967 (dorénavant Libellos ), pp. 299—303.

(8) Gouillard, Commentaire, pp. 199, 204. Vide infra p. 15, n. 14.i

(9) Ibid., pp. 204-205. Alexiade, X, I, 3: «... πρός πᾶσαν κάκωσιν, στρέβλας τε καί δεσμά καί δεσμούς σαρκός ἑτοιμότατος ὴν ἤ ἀποστῆναι τοῦ μή θεωθῆναι φσει διδάσκειν τό πρόβλημα».

Malgré la contradiction dans le texte de l' Alexiade notée par Gouillard sur laquelle nous reviendrons, la doctrine condamnée dans l'abjuration ne nous laisse aucun doute sur la correction de sa lecture de ce passage. II est curieux que les traducteurs d'Anne Comnène n'ont pas trouvé nécessaire de noter la modification qu'ils apportent au texte à cet endroit: B. Leib, ibid., vol. II, p. 188, «Lui...était tout prêt à endurer…plutôt que de s'abstenir d'enseigner que l'humanité assumée par le Verbe avait été substantiellement déifiée', suivi par J. Ljubarskij, Anekcuada, Moscou 1965, p. 264. De même E, Dawes, The Alexiad of the Princess Anna Comnena, Londres 1928, p. 235.

(10) Bien que l'église arménienne rejette systématiquement 1'accusation de monophysisme et anathématise Eutychès, cf. M. Ormanian, The Church of Armenia, Londres s. d., pp. 35, 107—108 (Voyez aussi à ce sujet l'article de L. Petit, Arménie, IV. Croyances et discipline, D. T. C., I, pp. 1944 sqq.; La confession de foi du katholikos Nerses IV, Sancti Nersetis Clajensis Opera, J. Cappelletti ed., Venise 1833, I, pp. 182, 189, cf. 210—211, 214, 224—225; la réponse de Daniel de Tabriz aux accusations de Nerses Balientes, Responsio fratris Danielis ad errores impositos tiermenis, Recueil des historiens des croisades — Documents armeniens, II, pp. 583—584, etc.], c'est de ce point de vue que se présentent les discours polémiques contemporains contre les Arméniens: celui de l'empereur Alexis I dans A. Papadopoulos - Kerameus, Α νάλεκτα Ι ε ρ οσολυμιτικής Σταχυολογίας, S. Petersbourg 1891, I, pp. 116—123, et surtout celui - d' Eustrate de Nicée, Τοῦ αὐτοῦ Εὐστρατίου ἔλεγχος καί ἀνατροπή τῶν λεγόντων μίαν φύσιν ἐπί τοῦ Χριστοῦ τοῦ ἀληθινοῦ Θεοῦ ἡμῶν ἐκ λογικῶν καί φυσικῶν καί θεολογικῶν ἐπιχειρήσεων, ἐξὧν δείκνυται ἀναγκαίως ἐκ δύο φύσεων εἶναι τόν σωτήρα Χριστόν μου, τήν ἄρρητον αὐτοῦ κατά σάρκα οἰκονομίαν ἀφύρτως καί ἀσυγχύτως καί ἀτρέπτως ἀλλήλαις ἥνωνεν ἐν μίᾳ καί τῇ αὐτῇ ὑποστάσει. Ἐξεδόθη δέ μετά τήν γενομένην διάλεξιν παρά του βασιλέως Κυρίου Ἀλεξίου τοῦ Κομνηνοῦ πρός Ἀρμένιον τόν Τιγράνην», dans A. Demetrakopoulos, Εκκλησιαστική βιβλιοθήκη, Leipzig 1866, pp. 160—198, dont le Tigrane ne peut être que celui dont parle Anne Comnène dans l'épisode de Nil, Alexiade, X, i, 1.

Anne emploie plus rigoureusement ses termes que beaucoup de ses commentateurs et distingue les «Arméniens», au sens doctrinal, d'autres sectes originaires d'Arménie telles les pauliciens, cf. ibid., XIV, viii, 3, 5, au sujet des hérétiques de Philippopolis en 1114. De même Euthyme Zigabène, Panoplia dogmatica, P. G. CXXX (1865), xxiii, col. 1173D, Κατά Ἀ ρμενίων, et xxiv, col. 1189C, Κατά τῶν λεγομένων Παυλικιανῶν. Dans le cas de Nil, Uspenskij, Sinodik, pp. 146—147, tout en se trompant sur l'identification du moine avec les Arméniens, a parfaitement raison de prendre le terme «Arménien» comme un terme doctrinal et non comme un ethnikon.

(11) Alexiade, X, i, 4 «διαλέξεις,», traduit «entretiens» par Leib, ibid., vol. II, p. 188, « meetings», par Dawes, Alexiad, p. 236 a plutôt le sens de controverse polémique que de conversation amicale. C'est le terme employé dans le titre de l'opuscule d' Eustrate de Nicée contre les Arméniens, vide supra la note précédente; c'est également celui dont se sert Anna Comnène pour les controverses entre Italos et ses adversaires, Alexiade, V, viii, 6—7, ou Leib, ibid., vol. II, p. 36, traduit «arguments» et «discutait», dans le cas du verbe. Cf. Lidell and Scott, Greek-English Lexicon, new ed. [Oxford 1953}, p. 401, «discourse, argument».

(12) Alexiade, X, i, 4, «ἠρέθιζε» est prudemment rendu, «enfonçait... dans l'impiété» par Leib, ibid., vol. II, p. 188. Or, «ερεθίζω,», Lidell and Scott, Lexicon, p. 684, «rouse to anger, rouse to fight» (cf. E. Sophokles, Greek Lexikon of the Roman and Byzantine Periods, Cambridge, Mass. 1887, I, p. 522, «ερεθιστής — provoker, quarrelsome person») est un verbe de séparation et non d'action parallèle. Si la doctrine de Nil provoquait les Arméniens à riposter, ils ne pouvaient guère être d'accord, et le sens du passage serait plutôt que les idées de Nil poussèrent les Arméniens à renchérir sur les arguments opposés qui leur étaient propres et, de ce fait, à se retrancher de plus en plus sur des positions monophysites qui inquiétèrent l'empereur, cf. Gouillard, Commentaire, p. 204.

(13) Alexiade, X, i, 4,... καί ἀλλήλοις τά τοῦ Νείλου καί τῶν Ἀρμενίων ἐπιπλεκόμενα...

(14) Sinodik, p. 147; Chalandon, Essai, pp. 317—318; Buckler, Anna Comnena, pp. 328— 329; Salaville, E. Ο., XXIX, pp. 148—149; Hussey, Church and Learning, p. 95, et al. Cependant, le texte de l'Alexiade X, 1, 5, ne dit rien sur une condamnation des Arméniens, Κα ί ὁ Νε ῖ λος ε ἰ ς τ ό μέσον μετά τ ῶ ν Ἀ ρμενίων ἵ στατο, κα ί τ ά τούτου ἀ νεκαλ ύπ τοντο δόγματα... Τί τι ἐντεῦθεν; Ἡ σύνοδος ἵνα πολλῶν ἀπαλλάξω ψυχάς τῆς διεφθαρμένης αὐτοῦ διδαχῆς, αἰωνίου τούτου καθυπέβαλεν ἀναθέματι καί τι καθ ' ὑπόστασιν ἕνωσιν κατά τάς τῶν ἁγίων παραδόσεις ἐμφανέστερον ἀνακήρυξε. Seul Nil y est nommé. Darrouzès, Documents, pp. 58, 61, voit les Arméniens comme les dénonciateurs de Nil, ce qui est le sens de la traduction de Mme. Dawes, Alexiad, p. 236, «... Nilus was placed in the centre with the Armenians and they delivered his doctrine».

Malgré les hypothèses de K. Krumbacher, Geschichte der byzantinischen Literatur, 2e ed., Munich 1897, p. 85 et, bien qu'avec plus de réserves, de H.-G. Beck, Kirche und theologische Literatur im byzantinischen Reich, Munich 1959, p. 610, Nil n'est pas mentionné dans le traite d'Alexis Comnène contre les Arméniens, vide supra n. 10 ef Buckler, Anna Comnena, p. 328.

(15) Cf. Gouillard, Commentaire, pp. 198—199. Sur la « nouvelle» hérésie d' Eustrate et sa «tendance nestorianisante», vide Nicétas Choniates, Thes. fid. orth., xxiii, P. G. CXL (1867), cols. 136D—137A; Nicétas d' Heraclée dans Darrouzès, Documents, pp. 278, 280, 298, 302, 306; Uspenskij, Sinodik, p. 150; et Joannou, Byzantion XXVIII (1958) pp. 2—7.

(16) Nicétas Choniatès, Thes. fid. orth.; P. G. CXL, col. 136D,... τούτου (Ιωά ννου το υ Ιταλού ) μαθητής Ε υσ τράτιος... et de même Nicétas d' Heraclée, Documents, p. 304. La liste des disciples d' ltalos données à son procès, ἐκ μέντοι τῶν μαθητῶν αὐτοῦ, ὧν αὐτός τά ὀνόματα ἐγγράφως ἐξέθετο, μετεκλήθησαν οἱ εὐλαβέστατοι διάκονοι, ὁ τε Μιχαήλ ὁ τῆς Ματζοῦς καί οἱ ὁμωνυμοῦντες δύο τούτῳ ὁ τε Δοξοπατρῆς καί ὁ Τζηρός καί Ἰωάννης ὁ τοῦ Γαγγρῶν καί Εὐστράτιος ὁ γεγονός πρώξιμος τῆς σχολῆς τοῦ ἁγίου Θεόδωρου τῶν Σφαρακίου, F. Uspenskij,.... Odessa 1897 [dorénavant Procès), p. 64, est rallongée par Anne Comnène, Alexiade, V, ix, 2, Καί ὅρα μοι τούς τούτου (Ἰταλοῦ ) μαθητάς, τόν Σαλομώντα Ἰωάννην καί τινάς Ἰασίτας καί Σερβλίας καί ἄλλους. Non seulement Nil ne s'y trouve-t-il pas, mais la princesse insiste qu'il était sans maitre, ibid., X, i, 1.

(17) Ibid., V, viii, 5—6, ὕπατος τῶν φιλοσόφων.... K αί ἦν μέν τῷ δόξαι πολυμαθέστατος, δεινός δε μᾶλλον εἴπερ τις ἄλλος διεφευνήσασθαι τῶν ἀνθρώπων τήν δεινοτάτην περιπατητικήν καί ταύτην πλέον τήν διαλεκτικήν. Ceci malgr é le caract è re barbare du personnage, ibid., viii, 3, 6-8. De m ê me Εὐστράτιος ὁ τῆς Νίκαιας πρόεδρος, ἀνήρ τά τε θεῖα σοφός καί τά θύραθεν, αὐχῶν ἐπί ταῖς διαλέξεσι μᾶλλον ἤ οἱ περί τήν στοάν καί ἀκαδημίαν ἐνδιατρίβοντες.... Ibid., XIV, viii, 9. Alors que Nil, ἄγευστος δέ πάσης λογικῆς παιδείας ὧν ἐπεπλάνητο περί τόν νοῦν τῶν γραφῶν. Ibid., X, i, 1. Nic é tas d ' Heracl é e, Documents, p. 304, met la confession d ' ignorance dans la bouche m ê me de Nil, Νεῖλος) καί (τ)οῖ(ς) ἀδελφοῖ(ς) αὐτοῦ, οἱ καί ἰδιῶται λέγοντες εἶναι καί πεπλανῆσθαι ὁμολογοῦντες... C ' est aussi le cas dans son Abjuration, Libellos, p. 301, 1. 3,... ταῦτα λογικῆς πάσης τέχνης ὤν ἄμοιρος καί ἀνάσκητος...

(18) Synodikon, pp. 57—61, surtout articles 3, 5, 7, p. 59, 11. 214—218, Τοις τα ελληνικά διεζιούσι μαθήματα και μη δια παίδευσιν μόνον ταύτα παιδεομένοις, αλλά και δόξαις αυτών ταις ματαίαις επομένοις και ως αληθέσι πιστεύουσι... αυταίς και διδάσκειν ανενδοίαστοι, ανάθεμα. De même, Procès, pp. 59, 61, 63. Cf. Gouillard, Commentaire, pp. 192—196, 200—202; Chalandon, Essai, pp. 315—316; Buckler, Anna Comnena, p. 319; Salaville,

E.O XXIX, pp. 141, 145, 155—156; Hussey, Church and Learning, p. 93; Stephanou, Jean Italos, passim, et al., sur Italos. Pour Nil, cf. Alexiade, X, i, 1,... εαυτώ προσανείχε δια παντός ταις ιεραίς βίβλοις ενασχολούμενος. Αμύητος δέ πάσης ελληνικής παιδείας ων...

(19) Vide supra n. 6 pour le texte de Nic é tas d ' Heracl é e.

(20) Vide supra n. 1. Nil se dit Calabrais dans son Abjuration, Libellos, p. 303, 1.

53. Νείλος, εγώ ο μοναχός ο Καλαυρός...

Même le clergé de la grande église murmure contre la condamnation d'ltalos, Procès, pp. 36—37. Gouillard, Commentaire, pp. 189—190, suggère en outre que le patriarche Eustrate Garidas etait «suspect de partialité envers le philosophe» et que l'acquittement des disciples d'ltalos était une satisfaction partielle accordée par les autorités à l'opposition. Dans le cas d'Eustrate de Nicée, l'empereur lui-même s'était efforce d'empêcher la condamnation d'un de ses conseillers favoris, Ibid., p. 207. Le sort de Nil n'intéresse personne, nous donnant ainsi à penser qu'il était un nouveau venu sans partisans en haut lieu, malgré les fréquentations aristocratiques dont parle Anne Comnène, Alexiade, X,i, 1.

(21) Vide supra n. 9.

(22) Alexiade, X, i, 2,... πόρρω του όντος εξενεχθείς φύσει τούτο θεωθήναι εδόξαζεν απατώμενος.

(23) Libellos, p. 303, 1. 38, Διαίρεσις γαρ τούτο και δόγμα θεοστυγές του φρενοβλαβούς Νεστορίου του και πάντη νενεθκρωμένου.

(24) Vide infra nn. 39—41.

(25) Gouillard, Commentaire, pp. 204—205; 301 nn. 10—12; 303 n. 16, Maxim.Conf., Opusc. theol. et polem., P. G. XCI, col. 33A. Grégoire est également cité comme pierre de touche de l'orthodoxie au procès d'ltalos, Procès, pp. 43, 51, 54 et n. 1.

(26) Codex Vindob. hist. gr. 73; Gouillard, Synodikon, pp. 23—24.

(27) Synodikon, pp. 56—61; pp. 58—59 n. 264, et pp. 60—61 n. 265. Τους εν τη Πανόρμῳ ευρηθέντας Βογομίλους και του κατεπάνου, ανάθεμα. Cf. Gouillard, Commentaire, pp. 186—206.

(28) Synodikon, pp. 60—63 et pp. 60—61 n. 266. Cf. Gouillard, Commentaire, pp. 228—232; et D. Angelov, Nouvelles données sur le bogomilisme dans le «Synodikon de l'Orthodoxie», Byzantino-Bulgarica III (1969), 9—21.

(29) Italos est évidemment Italien comme l'indique son nom et il avait vécu dans les possessions byzantines de l'Italie méridionale, Alexiade V, viii, 1—2. Cependant, Stephanou, Jean Italos, p. 15 et n. 1 fait observer qu'il n'y a pas lieu d'en faire un Calabrais. Cf. n. 20 pour Nil.

(30) Gouillard, Commentaire, pp. 229—230, semble pencher vers l'identification de Panormos avec Palerme en Sicile avec quelques hésitations, quoique la localisation italienne semble acquise, comme il le dit lui-même, par l'association avec le catepan ou le catepanat, ou peut-être encore avec la forteresse de Catepano en Italie meridionale sur laquelle voyez, G. Mor, La Difesa militate della Capitanata ed i confini della regione al principio del secolo XL, Papers of the British School at Rome XXIV [1956] 33; et M. Mathieu, ed. et trad, de Guillaume de Pouilles, La Geste de Robert Guiscard, Palerme 1961, p. 346. Angelov, Byzantino-Bulgarica III (1969] pp. 20—21, opte aussi pour l'ltalie.

(31) Leo Diaconus, Historia, II, vi, C. S. Η. B., Bonn 1828, p. 24, en 961... λέγεται γαρ κατόχους είναι Κρήτας μαντείαις και βωμολοχίαις και πλάναις, πρός των Μανιχαίων και του Μωάμεθ παρειληφότας ανέκαθεν. Synodikon, p. 57, 11. 180—181, Γεροντίῳ τῳ εκ Λάμπης μεν ορμωμένῳ, εν δε τῇ Κρήτῃ τον ιόν της αυτού μυσαράς αιρέσεως εξεμεσάντι..., ανάθεμα.

(32) Gouillard, Commentaire. pp. 229—230. Les magiciens de Crète sont rapportés par Léon le Diacre à 961 = A. M. 6469, ind. 4, vide supra la note précédente. Les cinq derniers articles apparaissent pour la première fois dans un Euchologion de 1027, Gouillard, Commentaire, p. 230. La date de Gérontios de Lampe est douteuse, mais elle doit précéder le procès d'ltalos en 1082, ibid., p. 187, et Nil fui condamne vers 1055.

(33) Gouillard, Commentaire, pp. 228—232, surtout 231. Sur les relations entre les néo-pauliciens, les bogomiles et les sectes et courants idéologiques contemporains, voyez mon article, Byzantine Heresy — a Reinterpretation, Dumbarton Oaks Papers XXV (1971) (dorénavant Byzantine Heresy), p. 85—113.

(34) Gouillard, Commentaire, pp. 186—187, mais cf. Byzantine Heresy, pp. 94, 109 et nn. 38, 99, ainsi que mon livre, The Paulician Heresy (La Haye 1967], pp. 166—167, 175, 184—185, 212, pour l'adoration constante que les pauliciens vouaient & leur hérésiarque comme à un Christ. Gouillard, Commentaire, p. 187 n. 21, note d'ailleurs aussi l'association de la région de Lampe avec les pauliciens.

(35) Cf. Paulician Heresy, pp. 197—203 et Byzantine Heresy, p. 97. Vide supra n. 31 pour le texte de Léon le Diacre.

(36)Gouillard, Commentaire, p. 231.

(37) Synodikon, p. 61, 1. 250—263, 1. 276 = J. Gouillard, Les Sources grecques pour l'histoire des pauliciens d'Asie Mineure, IV: les formules d'abjuration, Travaux et mémoires, IV, Paris 1970, pp. 201, 1. 61—203, 1. 85. Cf. Paulician Heresy, pp. 28—29. D'accord avec moi Gouillard, Travaux et mémoires, IV, p. 187 n. 11 et 188, accepte cette section comme s'appliquant à des pauliciens.

L'ange « Amen» du premier anathème qui préoccupe Gouillard, Commentaire, p. 231, se rattache peut-être à la doctrine paulicienne qui fait du Christ un ange et par conséquent une créature, cf. Codex Scorialensis I Φ 1, dans I. Friedrich, Der ursprüingliche bei Georgios Monachos nur teilweise erhaltene Bericht üiber die Paulikianer, Sitzungsberichte der philos.-, philol. u. hist. Classe d. Κ. B. Akad. d. Wiss. zu Munchen (1896), p. 76,... γενέσθαι χάριτι η αμοιβή των πόρων και του τελέσαι την εντολήν τον Χριστόν υιόν του Θεού; και ου μόνον κτίσμα τούτον επικαλείς κατά τον ματαιόφρονα Άρειον, αλλά και των αγγέλων και των ανθρώπων αυτόν μεταγενέστερον λέγεις είναι.... plutot qu'à l'archange Michel des bogomiles. Cf. Byzantine Heresy, pp. 101—103.

Tous les autres points de doctrine sont parfaitement consonants avec une doctrine néo-paulicienne. La haine pour la croix comme un instrument de tyrannie, Synodikon, p. 63, 1. 271 = Manichaean Formula, Travaux et mémoires. IV, p. 202, 1. 77, se retrouve dans le livret contre les pauliciens de Pierre l'Higoumène, cf. Ch. Astruc, Les Sources grecques pour l'histoire des pauliciens d'Asie Mineure, II: Pierre l'Higoumène. Pr é cis sur les pauliciens, Travaux et m é moires, IV, Paris 1970, xiii, p. 88, Βλασφημούσι δε και εις τον τίμιον σταυρόν, λέγοντες ότι Σταυρός ο Χριστός εστιν, ου χρη δε προσκυνείσθαι το ζύλον, ως κατηραμένον όργανον. Cf. Paulician Heresy, pp. 56 n. 109, 105, 106 n. 94, 156, 165—167, 171 n. 113, 175—176. De même les autres points de doctrine: la création du monde par « 1'Adversaire» ou le Demiurge, la christologie docétique, la dénigration de l'eucharistie comme du pain et du vin ordinaires, l'iconoclasme; sont tous parfaitement assimilables au néo-paulicianisme et sont maintes fois attestes comme tels par les sources, ibid., pp. 44 n. 66 a-c, 105, 106 n. 94, 152—185, 204—207, 230, 232—233. Sur la transformation de la doctrine paulicienne au IXe siècle, cf. ibid., pp. 182—185. 206—207. et Buzantine Heresy, pp. 101, 105, 111—113.

(38) Angelov. Byzantino-Bulgarica III (1969) 14, 20 suggère aussi que les anathèmes contre les bogomiles sont places parmi les articles d'ltalos par association d'idées. L'introduction de la condamnation de Blachernitès immédiatement après celle de Nil dans le tex τ e de l'Alexiade, X. i, 7, peut être encore un indice doctrinal, car Blachernitès avait «fréquenté des “enthousiastes”» ou messaliens selon Anne Comnène qui associe ceux-ci aux manichéens ou pauliciens, vide infra n. 64, Sinodik, p. 147 et Byzantine Heresy, pp. 105 sqq.

(39) Libellos, p. 301, ΙΙ, 4-5, …περί του θέσει τεθεώσθαι την προσληφθείσαν σάρκαν γράψαι τετελμηκώς..., ibid., ΙΙ, 13-14, Ει τις κατά θέσιν ή χάριν το πρόσλημμα του Λόγου και Θεού τεθεώσθαι, λέγει, έστο ἀνάθεμα. Cf. également anathème 5, ibid., p. 303, II, 37-38, dont le texte est donné infra n. 41 et Gouillard, Commentaire, pp. 203- 205.

(40) Paulician Heresy, pp. 152—153, 156—157, 159—160, 166, 178—180, 189, 211—213. 216—220, 226, 229—230.

(41)Mateeos Urhayeci (Matthieu d'Edesse), Patmuticwin, Jerusalem 1869, p. 204. La traduction de ce passage dans E. Delaurier, Bibliothèque historique arménienne, Chronique de Matthieu d'Edesse, Paris 1858, p. 142 manque d'exactitude. Cf. aussi Paulician Heresy, p. 159. D'après Matthieu d'Edesse, Patmutciwn, pp. 191—195 [ = Dulaurier, pp. 133—135), le roi Gagik était venu à Constantinople pour une discussion théologique sous l'empereur Constantin X Doukas [1059—1067], II était donc presqu'un contemporain de Nil dont le cinquième anathème répète exactement la condamnation de la doctrine des deux fils, Llbellos, p. 303, 1. 37, Ει τις δύο λέγει χριστούς είτουν υιούς, έστο ανάθεμα....

(43) Matthieu d'Edesse, Patmutciwn, p. 205 = Dulaurier p. 143. Le parallèle de ce texte avec celui de Nil semble plus proche que celui que propose Gouillard, Commentaire, p. 206 et n. 176.

(44) Libellos, p. 301. 11. 24,... ή πώς ου Θεοτόκος η και τούτον γεννήσασα..., ibid., σ. 303, ΙΙ. 41—42, Ει τις μη Θεοτόκον κυρίως ονομάζοι την αγίαν και πανύμνητον παρθένον Μαρίαν, έστο ανάθεμα. E ι γαρ μη Θεοτόκος κενόν άρα το της καθ' ημάς πίστεως μυστήριον.

(45) Matthieu d'Edesse, Patmutciwn, p. 203 — Dulaurier, p. 142. Cf. Paulician Heresy, pp. 110, 154, 163, 167, 169—170, 173, 175—176, 179—182, etc.

(46) Libellos, p. 301, II, 20-27; p. 303, II, 34-36; p.303, II, 39- 40. Gouillard, Commentaire, p. 205, trouve des difficultés dans le 2e et 6e anathèmes. Pourtant ils se rattachent parfaitement bien à la conception paulicienne (qui se retrouve également dans le 4 e ) de la possibilité de déification pour ceux qui également les vertus de Jésus par la même opération que lui-même. C'est-à-dire par adoption et en récompense de sa vie sans péchés. Cf. les deux notes suivantes.

(47) Opusc. Theol. et polem., PG XCI, 33 C: Οὐκ ἔστι δέ τὼν παρ ' ἡμῶν κατά δύναμιν γίνεσθαι πεφυκότων ἡ θέωσις, οὐκ οὖσα τῶν ἐφ ' ἡμῖν· οὐδείς γάρ ἐν τῇ φύσει, τῶν ὑπέρ φύσιν λόγος. Ἄρα τῆς ἡμῶν οὐκ ἔστι δυνάμεως πρᾶξις ἡ θέωσις, ἧς οὐκ ἔχομεν κατά φύσιν τήν δύναμιν·ἀλλά μόνης τῆς θείας δυνάμεως, οὐκ ἔργων ὑπάρχουσα δικαίων τοῖς ἁγίοις ἀντίδοσις, ἀλλά τῆς τοῦ πεποιηκότος ἀφθονίας ἀπόδειξις...». Cf. Exposit. Orat. Domin., XC, 905D. Les scoliastes semblent bien connaître le texte de Nil se rattachant à cette question, Libellos, p. 303, II, 35. Ἡ γάρ Κυριακή σάρξ οὐκ ἐνεργείᾳ ακτα΄τούς ἄλλους ἐθεώθη χριστούς.

(48) Paulician Heresy, pp. l54, 156, 161—162, 167, 175, 184, 211—212, 218—219, etc. aussi Byzantine Heresy, pp. 94, 109, 111—112 et n. 111. Cf. Gouillard, Commentaire, p. 187, n. 16.

(49) Libellos, p. 303, Ι. 34, E ι τις την αυτήν τῳ θέωσιν λέγοι, θεούσθαι και τους εναρέτους, έστο ανάθεμα.

(50) The Key of Truth, A Manuel of the Paulician Church of Armenia, F. C. Conybeare, ed. et trad. fOxford, 1898], p. 30 (= traduction, p. 95).

(51) Libellos, p. 301, 11. 5—7, γράψαι τετολμηκώς, χρήσεις πατέρων παρεθέμην, ευσεβώς μεν εχούσας, ασεβώς δε νοουμένας εμοί, και προς την εναντίαν μερίδα στρεβλουμένας και συγκατορθούν βιαζομένας το κατασκευαζόμενον,...

(52) Pierre de Sicile, Histoire des pauliciens. Les Sources grecques pour l'histoire des pauliciens d'Asie Mineure, I, Travaux et mémoires IV, Paris 1970, p. 41: «Ό δέ αἰχμάλωτος ἐκ Συρίας βίβλους ἐπιφερόμένος δύο, μίαν τοῦ ἁγίου Εὐαγγελίου καί ἑτέραν τήν τοῦ Ἀποστόλου, ταύτας δωρεῖται τῷ Κωνσταντίνῳ... Ὁ δέ λαβών τάς δύο βίβλους... θέλων αὖθις ἀνανεώσασθαι τό κακόν, μηχανᾶται ἐκ διαβολικῆς ἐνεργείας μή ἀναγινώσκεσθαι ἑτέραν βίβλον τό παράπαν πλήν τοῦ Εὐαγγελίου καί τοῦ Ἀποστόλου, ὅπως δυνηθῇ δι' αὐτῶν ἐπικαλύψαι τήν τής κακίας βλάβην,... Καί δή ἐκ τῶν... μανιχαϊκῶν βίβλων τάς ἀφορμάς ἑκάστης βλασφημίας παρειληφώς, ἠ δυνήθη ἐκ συνεργίας σατανικῆς τά τοῦ Εὐαγγελίου καί τοῦ Ἀποστόλου νοήματα ἐν τῇ ἑρμηνείᾳ πρός τό οἰκεῖον διαστρέψαι βο ύ λημα.

Pierre l'Higoumene, Ibid., p. 81: Οὗτος [Κωνσταντῖνος] γάρ αὐτοῖς παρέδωκε τάς μέν αἱρέσεις αὐτοῦ οὐκ ἐγγράφως, ἀλλ' ἀγράφως κατά παράδοσιν, τό Εὐαγγέλιον δέ καί τόν Ἀπόστολον ἐγγράφως ἀπαράλλακτα μέν τῇ γραφῇ καί τοῖς λόγοις ὡς τά καί παρ' ἡμῖν ὄντα αὐτοῖς παραδούς, διαστρέψας δέ ἕκαστον κεφάλαιον πρός τάς ἑαυτοῦ αἱρέσεις, νομοθετήσας αὐτοῖς καί τοῦ το μή δεῖν ἑτέραν βίβλον τήν οἱα νοῦν ἀναγινώσκειν εἰ μή τό Εὐαγγέλιον καί τόν Ἀπόστολον.

Ibid., p. 91: Ἔχουσι δέ πάντα τοῦ Εὐαγγελίου καί τoῦ Ἀποστόλου ρητά διάστροφα πρός τά παρ' ἡμῖν ὄντα ἐναντία, παρ' αὐτῶν δέ συντεθέντα ὡς δῆθεν ἁρμόζοντα ταῖς οἰκείαις αὐτῶν αἱρέσεσιν. Ὡς γάρ εἴρηται, τῇ γραφῇ καί τοῖς λόγοις οὕτως εἰσίν ὡς καί τά παρ' ἡμῖν ἀπαράλλακτα, τά δέ νοήματα διαστρέφουσι, Cf. Paulician Heresy, pp. 51—52, 155, 171 n. 115, 174 n. 127.

Chaque polémiste revendique évidemment l'orthodoxie de sa propre interprétation et accuse son adversaire de fausser les textes, néanmoins, il est intéressant d'observer, en vue du cadre paulicien dans lequel se place la confession de Nil, qu'Anne Comnène, elle-aussi, insiste que le moine ne lisait rien hormis les Saintes Ecritures, Alexiade, X, i, 1.

(53) En vue de son origine, il est curieux que le Synodikon de l'Orthodoxie ne soulève pas la question de l'iconoclasme. Pourtant, il faut noter que toute la question des images est également omise ici dans la section sur Italos, alors que nous savons qu'elle avait été soulevée, a tort ou & raison, durant son procès, cf. Procès, pp. 54—56

(54) ibid.

(55) Vide supra nn. 42—43.

(56) L'importance du baptême de Jésus le transformant d'une simple créature en véritable Fils de Dieu domine toute la doctrine paulicienne. Cf., entre autres, le long passage sur les nouveaux attributs octroyés à Jésus à son baptême, The Key of Truth, pp. 5—6 (= 74—75J. II est particulièrement intéressant de noter ici l'insistance du texte sur le fait que loin de les posséder de toute éternité il ne les recevait qu'«à ce moment même». Le baptême est donc une métamorphose totale qui se situe dans le temps. Cf. Paulician Heresy, pp. 152—153,

(57)Cf. la note précédente ainsi que Byzantine Heresy, pp. 101—102, 112 pour révolution de la doctrine néo-paulicienne. La métamorphose de Jésus est aussi attestée dans le lie anathème de la formule anti-paulicienne, Travaux et mémoires, IV, p. 204— 205. Le dédoublement de la doctrine paulicienne a cette époque se trouve reflété dans le Codex Scoriolensis, pp. 76—77. De même, il est intéressant d'observer que le roi Gagik lui-aussi semble connaitre deux formes de paulicianisme. C'est à dire la forme originelle adoptianiste venue d'Arménie et le néo-paulicianisme docétique byzantin, car il condamne aussi bien ceux qui confessent un fils adoptif que ceux qui disent que le Logos est passe par Marie comme à travers un canal, Matthieu d'Edesse, Patmuciwn, p. 203 = Dulaurier, p. 142 et vide supra n. 41.

(58) Alexiade, X, i, 2,… ἔνθεν τοι καί τήν καθ ' ὑπόστασιν ἕνωσιν τοῦ καθ ' ἡμᾶς ἀγνοήσας μυστηρίου καί μήθ ' ὅτι ἐστίν ἕνωσις ἁπλῶς συνιέναι δυνάμενος μηθ' ὅτι ἐστίν ὅλως ὑπόστασίς εἰδώς οὔτε διακεκριμένως ὑπόστασιν ἤ ἕνωσιν νοεῖν δυνάμενος μήτ' αὖθις ἡνωμένως καθ ' ὑπόστασιν ἕνωσιν μηθ ' ὅπως ἐθεὠθη τό πρόσλημμα παρά τῶν ἁγίων διδασκόμενος...

Cf. également le passage auquel s'adresse l'une des scholies interpellant Nil, Quaest. ad Thal., PG. XC, col. 648B, οὔτε τῇ κατ' ἄκρον πρός τήν σάρκα καθ ' ὑπόστασιν ἑνώσει τήν εἰς μίαν φύσιν παραδεχόμενος σύγχυσιν, οὔτε τῇ κατ' ἄκρον πρός τήν σάρκα κατά τήν φύσιν διαφορά, πρός υἱῶν δυάδα τεμνόμένος, où les deux extrêmes sont également et nécessairement condamnés par la doctrine orthodoxe.

(59) Gregoire Magistros, Teittere (LettresJ, Kostanéanc ed., Alexandropol 1910, p. 161, Cette doctrine est passible d'une interprétation orthodoxe, mais il n'y a pas de doute que Grégoire Magistros la traité ici comme hérétique.

La mort de Grégoire Magistros en 1058 et toute sa carrière en font un contemporain du roi Gagik d'Arménie et le situe environ une génération avant Nil de Calabre, cf. V. Langlois, Mémoire sur la vie et les écrits du prince Grégoire Magistros, duc de Mésopotamie, auteur arménien du Xle siècle, Journal. asiatique I [1869] 63—72. Nous restons donc ici dans le même milieu hérétique.

(60) Quaest. ad Thal., PG. XC, col. 661A, Βλέπε τό μυστήριον· βλεέπ τήν ἀγχόνην τῶν Φυσιθεσιτῶν· βλέπε τοῦ Ἰταλοῦ καί τοῦ Νείλου τόν θάνατον. Cf. supra n. 58 pour le texte de Maxime le Confesseur auquel s'adresse cette scholie.

(61) Paulician Heresy, p. 14 n. 3; J. Gay, L'ltalie méridionale et l'empire byzantin.

(62) Guillaume de Pouilles, La Geste de Robert Guiscard, I, vv. 334—339: « Cum Graecis aderant quidam, quos pessimus error, fecerat amentes, et ab ipso nomen habebant: Plebs solet ista Patrem cum Christo dicere passum, et fronti digito signum crucis imprlmit uno; Non aliam Nati personam quam Patris esse, Hanc etiam Sancti Spiraminis esse docebant».

M. Mathieu, l'éditrice du texte, ibid., pp. 28, 117 n. 2, 271, comme d'ailleurs F. Chalandon. Histoire de la domination normande en Italie et en Sicile, Paris 1907, II, p. 458 n. 4, tourne les effectifs calabrais recrutés par le catépan en «theopaschites» et par conséquent en «mercenaires arméniens», monophysites et non en pauliciens. Cette thèse n'est pourtant guère soutenable. Non seulement les « Paulikani» sont-ils expressément nommes dans le texte parallèle des Annales de Dari, mais l'interprétation arménienne laisse échapper le calembour classique sur le nom de Mani — «amentes» = Manichéens = pauliciens — que j'avais déjà relevé auparavant, Paulician Heresy, p. 14 n. 3.

En outre, loin de se signer avec un doigt, comme c'est le cas pour les hérétiques italiens décrits par Guillaume de Pouilles, les Arméniens suivent une autre tradition, ainsi que l'indique la source même citée par Mme. Mathieu pour soutenir la thèse contraire, Catholic Encyclopedia, XIII {1913], p. 786, «In Armenia... the sign of the cross made with two fingers is still retained to the present day». Le signe de la croix uniquement sur le front avec un seul doigt remonte à une tradition encore plus ancienne, Idem., cf. aussi Smith and Cheetham, A Dictionary of Christian Antiquities (1880], pp. 1895—1896, «The original mode of making the sign of the cross was with the thumb of the right hand, generally on the forehead only». Cette coutume serait donc beaucoup plus appropriée pour de vieux croyants, tels que les pauliciens et démontre que c'est bien d'eux qu'i] s'agit dans ce passage. Cf. infra n. 65.

(63) Vide supra n. 57 pour la présence de deux traditions au XIe siècle et Paulician Heresy, pp. 180—184 pour l'apparition du néo-paulicianisme en Asie Mineure au IXe s.

(64) Malgré l'interprétation Arméno-monophysite données des hérétiques de Guillaume de Pouilles (vide supra n. 63), le texte est parfaitement clair. Ce n'est pas la nature divine du Christ qui a souffert, mais bien le Père, et le Saint Esprit n'est qu'un autre «mode» de la même unité, qui est exprimée symboliquement par le signe de croix fait avec un seul doigt. Cf. infra n. 66.

(65) Paulician Heresy, pp. 210—211.

(66) K. Baus, Handbook of Church History, I: From the Apostolic Community to Constantine, New York 1964, pp. 255—260, «... those who declared that the one God revealed himself in different ways or modes, now as Father now as Son. This theory so effaced the distinction between Father and Son that it was said that the Father had also suffered on the Cross; and the supporters of this attempted solution are therefore called Modalists or Patripassian Monarchians». Cf. aussi, E. Aman, Patripassiens, D. T. C-, XI, p. 2328; G. Bardy, Monarchianismes ibid., x, pp. 2193—2209; Paulician Heresy, pp. 210—230, et al.

(67) Euthymius Zigabenus, Panoplia dogmatica, P. G. CXXX [1865], xxvi, col. 1273D— 1276A, Λέγουσι ὅτι αἱ τρεῖς ὑποστάσεις Πατρός, Υἱοῦ, καί ἁγίου Πνεύματος εἰς μίαν ὑπόστασιν ἀναλύονται. Τοῦτο δέ ἐν τῆς Σαβελλιανῆς αἱρέσεως ἐσύλισαν εἰς ἕν συναιρούσης, καί συναλευφούσης, καί συγχεούσης τάς τρεῖς ὑποστάσεις, καί μίαν ὑπόστασιν δογματιζούσης τριπρόσωπον... Alexiade, XV, viii, 1, Δύο γάρ δόγματα συνελθέτην κάκιστα καί φαυλότατα ἐγνωμένα τοῖς πάλαι χρόνοις, Μανιχαῖον, τε, ὡς ἄν τις εἴποι, δυσσέβεια, ἥν καί Παυλικιανῶν αἵρεσιν εἴπομεν, καί Μασσαλιανῶν βδελυρία. Τοιοῦτον δέ ἐστι τό Βογομίλων δόγμα, ἐκ Μασσαλιανῶν καί Μανιχαίων συνείμενον. Cf. aussi n. 38 pour l'association de Nil avec Blachernitès et le milieu messalien.

II est intéressant d'observer qu'Italos, lui-aussi est accusé (à tort semble-t-il) de sabellianisme, Procès, pp. 48—50; Stephanou, Jean Italos, p. 70. II n'est pas impossible que les premières propositions condamnées, ou le sens des paroles d'ltalos semble être délibérément déformé par ses juges et que lui-même rejette volontiers, reflètent des idées théologiques que les autorités ecclesiastiques considéraient comme courantes dans son Italie natale et qu'elles lui attribuaient d'office. Néanmoins, le «physithesitisme» d'ltalos doit probablement être attribué à la confusion créée dans l'esprit de ses contemporains par les paradoxes de sa dialectique, cf. Alexiade, V, viii, 6. II n'est donc pas responsable des erreurs de Nil.

(68) Je dois la clarification de cette évolution ascendante à mon collègue et ami, M. Gerard Caspary, professeur d'histoire médiévale à l'Universite de Californie à Berkeley, auquel je tiens £ exprimer ma reconnaissance pour ses nombreuses et précieuses suggestions.

(69)La possibilité de confondre une christologie monophysite avec une théologie sabellienne s'est souvent manifestée, comme nous avons eu l'occasion de le voir. C'est probablement le piège dans lequel sont d'abord tombés les Arméniens Tigrane et Arsace qui avaient confondu Nil avec un de leurs coreligionnaires.

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