PAGE CENTRALE     QUI SOMMES NOUS     SAINTE BIBLE  
  BIBLIOTHEQUE «PORFYROGENNITOS»     LIBRAIRIE      
PELERINAGE DE LA SAINTE BARBE   CAMPUS THEOLOGIQUE
La Voix du Seigneur | Liens| Rubrique des fêtes | Multimédias

 

DOGMATIQUE

PASTORALE

LITURGIQUE

HISTOIRE DE L'EGLISE

SAINT ECRITURE

ART ECCLESIASTIQUE

PATROLOGIE

DROIT CANON

Gregoire X (1271-1276) et le projet d'une Ligue antiturque (1)

V. Laurent, ‘G regoire X (1271-1276) et le projet
d'une Ligue antiturque', Echoes d'Orient 37 (1938), 257-273.

Michel VIII Paleologue (1258-1282) fut a la fois le premier souverain de sa dynastie et le dernier grand empereur de Byzance. Malgre l'ins­tabilite d'un pouvoir usurpe au prix d'un crime odieux, le monarque, fort de son genie militaire et de son flair diplomatique, concut l'ambi­tieux dessein (2) de reconstituer en Europe et en Asie l'ancien Empire dont il ne detenait plus que la tete monstrueuse et quelques membres fragiles. Il crut ou sembla croire que le pape le debarrasserait egale­ment des latins et des turcs et lui permettrait de refaire des deux cotes du Bosphore le patrimoine de ses plus fameux predecesseurs. Il se trompait a peine. Un competiteur redoutable, Charles d'Anjou, fit bien aux depens de son rival un reve parallele. Mais Gregoire X (3) a qui fut presente ce double plan de restauration de la Chretiente orientale, prefera les promesses de l'enfant prodigue aux assurances du fidele mais encombrant vasal. Bien plus, les concessions au partenaire grec furent telles qu'il s'ensuivit dans les combinaisons de chancelleries une notable deviation du but de la croisade.

Le pape, qui maintint toutes reserves au sujet des possessions latines de Remanie (4) , se declara pret en revanche a faire devier de la Pales­tine vers l'Asie Mineure la puissante armee que ses appels tentaient de reunir. L'expedition aurait ainsi pour premier objectif de reintegrer l'autorite du basileus dans ses limites historiques en chassant d'Anatolie ces pleiades d'emirs remuants (5) qui ne cessaient de s'entredechirer que pour conquerir quelque nouveau lambeau de terres byzantines. Cette etape franchie, l'aide promise par les grecs (6) a la vraie croisade qui delivrerait la Terre Sainte serait mieux affermie. Maitre d'un etat puis­sant et a couvert de tout retour de surprise, le Paleologue, dont les latins connaissaient par experience la valeur militaire, s'offrirait pour mener a la conquete de l'Islam les troupes federees d'Orient et d'Occident.

Comment la politique du Saint Siege, traditionnellement rigide et defiante a l'egard des Byzantins, s'est-elle modifiee si profondement qu'elle voulut resoudre a leur profit exclusif le probleme complexe que formait deja la question d'Orient en un temps ou l'Europe veillait jalousement a l'eclosion et au developpement de privileges multiples issus des expeditions precedentes? L'allie sans scrupule qu'eut ete Michel VIII eut-il hesite, le jour ou il s'en fut cru le pouvoir, a chasser les latins parasites de domaines qu'il pouvait dire siens? Les barons francs ou anglosaxons, d'autre part, auraient-ils remis de gaiete de c?ur, sur un signe du pape, entre les mains d'un ennemi eventuel des regions fertiles arrosees de leur sang? Le supposer serait pueril et vain. Doit-on des lors supposer que Gregoire X cedant a un mouvement d'imprudente bonte ou a un acces d'aveugle ambition ait voulu payer le retour interesse a l'unite romaine d'une Eglise rebelle en lui sacri­fiant les interets vitaux de la catholicite ? Delicat et obscur probleme dont il faut d'abord etablir le fait tout nouveau.

L'idee d'un front unique contre l'Islam envahisseur ne date, a vrai dire, ni du pontificat de Gregoire X ni de celui de ses predecesseurs immediats (7). L'essai, serieux et prolonge, en avait ete fait, deux siecles auparavant, entre les troupes d'Alexis I er Comnene et celles de la premiere croisade, sons les murs de Nicee ou deja logeait le turc et tout le long de la route qui les mena jusqu'aux portes d'Antioche. Or cette tentative n'avait laisse aux deux parties, occasionnellement liees par d'ineluctables necessites, que deconvenues et ameres desillusions. La mauvaise foi des uns et l'egoiste rapacite des autres firent craindre pour l'avenir pareille experience. Et si les theoriciens en desirerent le renouvellement, il n'en fut plus question dans la pratique.

Les evenements tragiques dont le nouveau pape avait ete temoin outre-mer (8) remirent a l'ordre du jour une collaboration plus que jamais apprehendee; celle-ci meme parut si urgente qu'on en delibera simultanement de deux cotes (9). Chaque fois que les circonstances l'avaient exige d'elle, Byzance s'etait empressee d'affirmer (10) le vif attrait qu'elle ressentait pour la croisade et n'avait pas manque de promettre sa collaboration eventuelle. A vrai dire, la Ville gardee de Dieu avait assez souvent vu les nations paiennes battre insolemment ses murs pour desirer ardemment l'exter­mination de toutes celles qu'elle n'avait pu convertir a sa foi. Et son prince etait sincere qui protestait aupres de Gregoire X de son zele fervent contre tous les ennemis de la Croix (11). Malheureusement jamais peut-etre il n'y eut si loin qu'en ce dernier quart du XIII e siecle entre les pressants appels de la conscience chretienne et les dures necessites de la politique, a ce point que les protestations enflammees du basileus ne paraissent nullement exemptes d'une certaine hypocrisie (12). Nous avons note ailleurs (13 ) quel jeu de subtile diplomatie lui permettait d'entretenir sans trop de scrupule les amities les plus contradictoires. Son attitude (14) a l'egard du sultan Izeddine et de sa nombreuse suite de guerriers et de sujets restes musulmans montre en outre son gout du risque. En effet, l'hospitalite qu'il lui offrit avait beau solder une dette de reconnaissance, elle n'en constitua pas moins, au debut, une provo­cation permanente a l'adresse de l'usurpateur mongol (15) , dont on devait connaitre a Byzance les accointances avec l'Occident. L'egard temoigne aux turcs fugitifs etait a double fin : retenir des allies even­tuels au cas ou le flot tartare eut deferle en ligne droite vers l'ouest, obliger de redoutables coreligionnaires au moment ou une partie deci­sive allait se jouer en Syrie entre l'Egypte et l'Iran (16). Mais quand ces hotes furent devenus un danger, il exerca sur eux de dures repre­sailles, d'une maniere qui eut du troubler ses alliances. Ainsi l'interet deplacait ses combinaisons non suivant des preferences ideologiques ou confessionnelles que Michel VIII n'eut jamais, mais selon des accords defensifs auxquels l'acculait sa position critique. Toutefois son axe tres mobile dans le champ oriental s'appuya des le debut invariablement sur Rome. L'appel que Gregoire X lui lanca (17) de Syrie fut accepte pour ses avantages comme un programme fidelement garde quoique d'interpretation fort souple.

Le treizieme siecle eut en effet aussi sa M εγάλη Ιδέα , nee dans l'exil de Nicee aux jours d'une etonnante prosperite financiere et a la suite de victoires prometteuses en Europe et en Asie. La reprise inattendue de Constantinople donna a tous l'impression (1 8 ) que Dieu preparait une eclatante restauration de l'Empire. Michel, l'heureux basileus, n'avait-il pas ete berce par une s?ur ambitieuse - alors que rien ne le destinait au trone - au rythme de cantilenes prophetiques ( 19 ) dont la plus invraisemblable venait de se realiser. La capitale bien en mains, la reconquete des terres captives a l'est et a l'ouest ne pouvait etre, des lors, qu'un succes facile promis a son destin. Le cours, bientot con­traire des evenements eut beau dementir ces calculs enthousiastes de la premiere heure, la nation entiere garda toujours une irresistible ten­dance a recouvrer ses anciens domaines en depit de toutes les usurpations.

On eut pu s'attendre a ce que Michel, comme prix de son adhesion a l'union religieuse, n'eut, a l'exemple des Lascaris ( 20 ) ses predeces­seurs, requis du pape que la garantie de Constantinople et des terres alors occupees. En fait, du jour ou il posa le pied sur le sol de la capitale recouvree, ses ambitions ( 21 ) le porterent tout de suite vers une restauration des frontieres historiques de l'empire.

L'immense sacrifice de l'autocephalie religieuse postulait dans ses intentions une compensation d'ordre territoriale. Or les deputes veni­tiens au concile de Lyon avaient solennellement declare ( 22 ) ne rien vouloir ceder des colonies acquises depuis la quatrieme croisade. On sait aussi que si Gregoire X freinait les ambitions de Charles d'Anjou et. de son commettant, Philippe de Courtenay, leur attitude restait menacante. La Curie, defiante a l'exces, se refusa d'ailleurs toujours a porter la moindre atteinte au statu quo europeen. Mais si les etats chretiens se derobaient a tout accommodement dans les Balkans et en Mediterranee, la question pouvait se poser d'une aide qui procurerait aux Grecs de substantiels dedommagements aux depens des infideles.

Cette volonte de collaboration, toute a son profit, laissait entiere chez Michel VIII l'intention de recuperer par la force les provinces irredimees d'Occident. Ainsi l'annee 1275, qui vit sur le Bosphore la con­sommation de l'union des Eglises, fut particulierement propice aux annees byzantines (23). L'elan de ses troupes, parvenues jusque sous Durazzo, reporta jusque sur l'Adriatique la frontiere occidentale de l'etat. Mais l'entreprise qui l'opposait tout a la fois au puissant roi de Sicile, aux despotes grecs de Thessalie et d'Epire et aux barons francs de Moree restait au-dessus de ses forces. Le basileus, conscient de ne pouvoir emporter d'emblee les terres convoitees, changea de tactique des que la contre-offensive angevine se fut dessinee et proposa a la curie, un pacte de non agression; l'Eglise, en retour de son adhesion a l'obe­dience romaine et a l'idee de croisade, la couvrirait contre les attaques des occidentaux. Politique passive, la seule qu'il ait ose afficher, mais dont il ne considerera jama's l'esclave. Ce converti retors agit en effet toujours comme si le pape, satisfait de sa conversion au spirituel, eut du excuser toutes ces agressions. Innocent IV n'avait-il pas offert a l'un de ses predecesseurs, Jean III Batatzes (24) , de lui ceder Constantinople au cas ou il lui assujettirait son Eglise ? A plus forte raison souffrirait-on qu'un prince uni, maitre de la capitale, s'emparat de la Romanie; la force, habilement deployee, creerait cet etat de fait auquel les chancelleries n'auraient d'autre ressource que de rajuster leurs plans. Provisoirement il ne fut requis qu'un geste de la Curie, a savoir qu'elle vouat a l'anatheme et a l'interdit deux competiteurs, le" despote d'Epire et le duc de Thessalie, moins pour la satisfaction de les voir regimber sous la censure que pour prevenir tout secours a des rebelles des lors rapidement soumis.

Gregoire X, presse par Charles d'Anjou d'epouser sa politique orien­tale, proclamait d'autant plus volontiers les droits des Byzantins a posseder Constantinople que ceux-ci les tenaient et de la nature et des chances de la guerre. S'il se garda de seconder, de peur qu'une restauration prematuree de leur puissance ne les rejetat dans le schisme^ leurs desseins de conquete, il etait naturellement enclin a reconnaitre l'etat de fait que les continuelles usurpations des byzantins renouvelaient sans cesse. L'annee 1275, en depit de l'echec contre la Thessalie, terre grecque, avait affranchi l'Eubee, fief latin (25). Des bruits d'offen­sive generale parvenaient en Sicile et contraignaient le roi a faire sur la cote albanaise d'incessante envois de vivres et de troupes. Au moment le plus critique (fin 1275-debut 1276), les possessions latines eussent du etre a l'abri des coups de force en vertu de l'armistice (26) impose aux parties belligerantes par le Saint Siege et en raison des tracta­tions solennelles que le basileus poursuivait a ce moment precis avec Rome.

En effet (27) , une ambassade, envoyee auparavant pour sonder les intentions des occidentaux, avait rapporte la certitude que la croisade, edictee au concile, devenait ineluctable, et decide l'empereur a prendre d'urgence position dans une entreprise qu'il devait ou seconder ou subir. L'esprit de ce prince, mobile et fecond, se porta rapidement vers les tribus turques d'Anatolie (28) qui, exaltees par le succes que remportaient, de l'Oronte a l'Euphrate, les armes musulmanes (29) , inauguraient avec un rythme croissant ce jeu de courses et de razzias qui, vingt ans plus tard, devaient degenerer en veritables invasions et mener en moins d'un demi-siecle sur le Bosphore toute une popu­lation de patres guerriers. Le danger qu'avaient aisement surmonte le jeune empire de Nieee ( 30) apparut, des l'abord, avec ses irremediables consequences a l'?il scrutateur de Michel. Toutefois, soit que ses rap­ports avec la papaute ne lui parussent pas assez affermis, soit qu'il se crut en etat de pourvoir autrement a la situation d'Asie Mineure, le prince n'agita officiellement jusqu'apres le concile general que la question apparemment plus desinteressee de la delivrance des Lieux Saints. Hypnotisee par le peril angevin et soucieuse d'y parer en etendant

ses conquetes, Byzance s'etait refusee a toute offensive du cote de l'est. Devant la croisade imminente, l'empereur, tout en estimant que son obeissance en matiere religieuse solderait toujours amplement ses atta­ques dans l'archipel egeen et en Moree, jugea le moment venu d'un coup d'Etat diplomatique qui mettrait a son service ou a sa discretion les forces de la Chretiente.

Le basileus se rendait compte que, durant le voyage et le sejour des troupes d'expedition en Orient, l'etat de guerre avec les princes latins de Moree et de l'Archipel devait officiellement cesser, le moindre pre­texte devant declencher une represaille armee contre Byzance. Pour se donner une garantie plus solennelle, il n'hesita pas a signer ( sur le desir du pape, une treve (31) destinee surtout a paralyser l'adversaire. Restait a definir quelle serait son attitude au cours de la croisade imminente. Rome ne lui laissait la liberte et ne lui garantissait l'inde­pendance que pour en obtenir un concours efficace, d'ailleurs incessam­ment promis. Mais quels devaient en etre le sens et la mesure ? On ne l'a jamais su nettement. Il semble cependant certain qu'une rupture ouverte avec Baibars (32) ne fut pas dans ses intentions immediates. Soucieux de menager ce trop puissant voisin dont la fortune etait ap­parue plus foudroyante encore que celle de Saladin, il objectera pour ne pas armer les serments d'alliance (33) qui le liaient au Soudan. Il faudra que le pape rappelat durement a ce delicat, d'habitude si peu en peine de rompre ses pactes avec les chretiens, que tout traite, meme jure, passe avec les ennemis de la foi etait de soi invalide et non avenu.

Cette imperieuse declaration, si elle eut pu au besoin tranquilliser sa conscience, etait de nature a grandir ses apprehensions, vu l'incer­titude ou l'on pouvait etre de l'issue du conflit. Un interet geographi­que evident rapprochait Grecs et Mamluks en butte aux memes visees angevines et la frequence de leurs rapports a meme fait penser a une conjuration orientale (34) contre la menace armee de l'Occident. Or que la nouvelle croisade vint comme tant d'autres a echouer - on savait bien aux Blaehernes quelles dissensions travaillaient la chretiente latine - Byzance, restee seule en face de son alliee exasperee, eut paye de sa ruine son impardonnable felonie. Prudente, elle tenta de sauver les apparences en provoquant une diversion dont peut-etre les Egyptiens lui sauraient gre et qui, en tout cas, enleverait a son intervention dans le conflit, s'il avait lieu, tout caractere de spontaneite. Un homme de confiance, Georges le Metochite, simple archidiacre de Sainte Sophie, partit d'urgence en mission secrete (35) , accompagne du seul interprete, qui, note le court rapport (36) que l'apocrisiaire nous a laisse, bien que haut dignitaire imperial, n'avait le droit de dire que ce qu'on lui dic­terait.

L'affaire fut habilement negociee (37). Point d'offre brutale qui eut mis en un relief trop saisissant l'interet personnel du requerant. Le legat imperial sembla n'etre venu que pour prendre les derniers arran­gements en vue de la croisade (38). Il s'enquerrait de la personne des chefs, de la force des contingents, du but de l'expedition et du plan arrete. Sur quoi, au nom de son maitre, il plaida la cause du passage par terre (39) , proposition qui devait etre recue avec autant d'etonne­ment que de reconnaissance, puisqu'elle avait d'emblee les faveurs des conseillers techniques de Gregoire X. En effet, les theoriciens officiels avaient deja represente au pape a quelles difficultes quasi insurmon­tables se heurterait le transport par mer de troupes nombreuses et quels avantages toujours reconnus offrait la vieille route d'Asie Mineure par le Bosphore et la vallee du Danube. Le seul obstacle grave que Humbert de Romans et Pidence de Padoue (40) avaient signale a son inten­tion se trouvait maintenant leve par la demarche du Metochite. L'Em­pire byzantin, etire de l'est, a l'ouest, detenait on effet une portion con­siderable de l'itineraire avec ses principaux pointe strategiques. Aux epoques de tension grecolatine, n'avait-on pas ete d'avis de prevenir la mauvaise volonte ou la trahison eventuelle des grecs par une action preliminaire (41) contre Constantinople ? Cette fois leur souverain offrait spontanement ce que l'on redoutait qu'il n'agreat point : le libre passage par ses etats des armees d'Occident.

Les croises franchiraient donc le Bosphore, penetreraient en Bithynie et par la voie classique marcheraient sur la Syrie a travers la Turquie et la Cilicie. Le devouement des etats armeniens, compromis et tres eprouves etait assure et l'on y comptait; d'autant que, faisant obstacle a la reunion en un seul faisceau des possessions musulmanes de l'Asie Anterieure, leur sort etait prescrit d'avance. Quant aux emirs turcs, le basileus se flattait d'obtenir par lettre de son gendre, leur suzerain, - le khan de Perse - pleine assistance et libre passage (42). Le nom de Turquie intrigua Gregoire X et c'est ici que le byzantin joua franc jeu. Le pape s'enquit longuement d'une nation nouvelle pour lui, de la grandeur du pays, de la densite de sa population, de la religion de ses habitants. Le Metochite complaisamment chargea le tableau. Il eut d'abord soin de preciser que cette longue bande de territoire qui, de la Mer Noire a la Mediterranee, touchait partout le pays grec etait un bien anciennement vole a sa patrie et donc injustement detenu par le ravisseur; le negociateur invoqua ensuite le passe chretien de villes celebres, Cesaree qu'illustra saint Basile, Nysse la metropole de son frere saint Gregoire, Iconium ou un peuple impie foulait les traces de saint Paul et de saint Amphiloque et d'autres. A ce plaidoyer pathetique l'emotion gagna le pape qui, a plusieurs reprises, soit en prive soit en public, examina -attentivement la situation nouvelle creee par cette revelation, puis fit incorporer (43) au plan de la future croisade un projet d'epuration de l'Anatolie, au profit de son maitre legitime, l'empereur grec catholique.

Libere de ses prejuges seculaires envers les grecs, le Saint-Siege n'avait plus de peine a ecouter leurs suggestions et, tout compte fait, trouvait meme judicieux le plan de fortifier, en le restaurant, l'etat le plus expose de la chretiente. Aussi bien, puisqu'il s'agissait d'aneantir l'Islam, autant valait se faire la main en Asie Mineure aux depens de simples peuplades, car la possession de Jerusalem ne serait elle-meme definitive que si l'on reduisait de l'Euphrate au Nil, sur des territoires strategiquement solidaires, les nations infideles attachees a ses flancs. D'ailleurs, le cas echeant, suivant la tournure des evenements, ces turcs accourus a l'appel des Egyptiens leurs coreligionnaires, pouvaient de­venir un danger en prenant a revers l'armee chretienne. Enfin - con­sideration plus generale et de plus grande portee - si la Syrie-Pales- tine pouvait etre ravitaillee en hommes et provisions de guerre par voie de mer, une assistance militaire efficace, capable de parer aux attaques exterieures et aux multiples causes de desagregation ou la plongerait les inevitables rivalites des puissances mandataires, n'etait concevable que si on lui assurait une large base d'operation. -Chez les theoriciens du XIV e siecle (44) , ce sera verite courante que seule l'occupation preventive de l'Anatolie eut pu consolider et garantir effica­cement la conquete de la Terre Sainte, en raison de ses excellents mouillages et ports propices au ravitaillement, de la richesse exceptionnelle de ses plaines, de la proximite des comptoirs tres commercants de Thrace on de Crimee, surtout de son aire immense aux ressources strategiques illimitees.

Ces arguments etaient propres a emporter l'adhesion du pape et il est naturel qu'ils soient venus sous la plume de ses conseillers. Comment s'expliquer que le Paleologue les ait, le premier ou peu s'en faut, pre sentes a son attention? L'apprehension qu'on avait a Byzance d'une agression latine etait extreme. On y redoutait les croises comme enne­mis. Pouvait-on les desirer comme allies sur ses propres terres ? C'etait pourtant bien la que ses demarches, par l'entremise du Metochite, ten­daient a les attirer dans le fol espoir de recouvrer a la pointe de leur epee les regions irredimecs de l'ancien empire grec. Or dans le meme temps le prince se refusait a vouloir que sa dynastie, au cas ou elle eut ete detronee par un usurpateur, eut eu recours pour venger et recouvrer son droit a une armee occidentale (45). Il ne voulait surtout pas que la tragedie de 1204 vint a nouveau ruiner son ?uvre de restauration, d'autant que la menace latine etait a demeure chez lui dans ces troupes mercenaires qui, a la faveur des dissensions religieuses, fai­saient volontiers litiere de leurs serments de fidelite et causaient au pouvoir les plus durs embarras (46). Mais cette precaution, bonne pour' la minorite de scs fils, lui disparu, etait caduque de son vivant, car il se croyait assez habile ou assez fort pour introduire dans son jeu un aussi redoutable alea. Par quel secret calcul ?

Le desir d'obliger le Soudan son allie en detournant a son profit le premier elan des forces chretiennes justifie-t-il a lui seul les risques auxquels le sejour des latins eut expose l'empire ? Non assurement et l'on eut pu douter de cette resolution si le Souverain Pontife n'avait d'avance accorde aux hotes grecs la supreme garantie de sa pre­sence (47), qui, destinee a sauvegarder la bonne entente entre les chefs, etait d'abord a l'avantage de Michel Paleologue, tout a la peur qu'une de ces troupes errantes, aux appetits changeants, ne tentat contre lui quelque heureux coup de main. Gregoire X, instamment prie d'epargner au peuple a peine revenu a son obedience un retour du drame de 1204 dut sans doute aussi vouloir par la couvrir de sa personne et de son autorite l'empire grec et sa capitale. En tout cas, l'annonce de cette determination inesperee peut seule expliquer la proposition, d'une invraisemblable temerite, faite au sujet de l'itineraire a suivre par le basileus qui, voyant decidement murir l'expedition tant redoutee, aura man?uvre pour que la croisade, grosse de menaces pour lui, servit ses interets.

Quoi qu'il en soit, ainsi engagee, l'affaire parut- d'assez grande im­portance pour necessiter l'envoi, en plein hiver, a Constantinople, d'un cardinal de marque (48). Celui-ci jetterait les premieres bases d'un accord, mais rien ne se ferait avant que Gregoire X et Michel VIII n'aient tenu sur le meme sujet une conference a deux. La date et le lieu en furent immediatement fixes ; les augustes interlocuteurs se ren­contreraient. au lendemain de Paques 1276 a Brindisi ou a Valona (49) suivant que le permettraient les circonstances. Le pape tenait a rentrer d'abord a Rome et a y achever, par le couronnement du nouvel empe­reur germanique, Rodolphe de Habsbourg, la pacification de l'Occident. On sait que l'etape d'Arezzo fut fatale au pontife qui mourut inopi­nement le 6 janvier de cette meme annee 1276, en songeant a l'exter­mination prochaine de l'Islam. Lui disparu, les dissensions renaquirent, acerbes, entre chretiens; le roi d'Aragon continua a briguer la cou­ronne imperiale; Ottocar de Boheme aggrava son differend avec l'em­pereur germanique; Charles d'Anjou se reprit a vouloir arracher Cons­tantinople a ses maitres; l'attitude du Saint-Siege redevint elle-meme defiante a l'egard des grecs. Ainsi fut perdue, dans la mesentente gene­rale, l'une des occasions les plus favorables qui se soient offertes aux croises de reconquerir la Terre Sainte, a un moment ou la disparition prochaine du redoute Bibars (1277) et l'anarchie qui s'en suivit dans sa famille et son armee eussent singulierement facilite l'entreprise.

Tout theorique qu'il soit reste le nouveau plan de guerre merite de retenir l'attention d'autant qu'il comportait en cette fin du XIII e sie­cle de troublantes inconnues. Avec lui, nous sommes en effet en plein paradoxe historique. Jamais au cours de son existence quasi mille­naire, Byzance n'avait encore eveille de si pressantes convoitises et voila qu'elle appelait a elle ces barbares (50) cupides que sa diplo­matie pouvait a peine contenir au loin. Quel regard de tragique avidite Charles d'Anjou, l'un des principaux chefs de l'expedition (51) , n'eut pas jete sur ses palais et scs murs tentateurs. Michel VIII le savait bien, qui, habitue aux grands coups temeraires, ne s'exposait froide­ment aux attaques de son plus redoutable ennemi que dans l'espoir d'un avantage assure. La presence de Gregoire X eut sans doute suffi a prevenir les velleites d'une agression; surtout le roi de Sicile eut bien pris garde de compromettre par une attaque inopportune et chan­ceuse les droits certains qu'il allait acquerir (52) par Marie d'Antioche sur le royaume de Jerusalem.

Quand elle connut ce plan de restauration, l'opinion byzantine sem­ble avoir reagi en sens opposes (53). Un parti, acceptant cette alle­chante perspective, la tenait pour une utopie de cerveau debile; un autre, sans en contester la portee pratique, la craignait comme un danger et voyait dans le negociateur malchanceux soit un songe-creux soit une traitre inconscient. L'aide si genereusement offerte par le pape n'eut donc que difficilement recueilli les suffrages de la masse. Le souverain a la main lourde ne s' ! en fut, il est vrai, guere soucie, mais l'humeur hostile de ses sujets eut infailliblement ralenti sinon contre­carre la collaboration militaire. Neanmoins, volontaire et tenace, il fut passe outre et eut couru resolument la chance qui, pour defier les appa­rences, pouvait se plier a ses desirs, le cas echeant.

Cependant la campagne preliminaire d'Asie Mineure, d'un interet eminemment strategique, eut rencontre un obstacle plus insurmontable : l'hostilite des Tartares, les vrais maitres de cette Turquie que l'on se promettait de recouvrer. Le passage et l'approvisionnement des trou­pes occidentales (54) etait chose assuree parce qu'offerte spontanement par le khan de Perse et requise au besoin par son gendre, l'empereur de Constantinople ; mais une occupation militaire (55) qui eut trans­forme l'Anatolie en une nouvelle Syrie feodale n'etait certainement pas dans les intentions des Mongols. Or ceux-ci etaient trop puissants pour que l'on desirat engager contre eux une partie dangereuse qui, meme en cas de succes eut trop affaibli les forces chretiennes et les eut detournees de la Terre Sainte. Le Metochite, lui-meme, savait bien que Nysse, Cesaree et les provinces orientales etaient en trop fortes mains pour qu'une tentative de les reprendre eut eu quelque chance de reussite. Se serait-il servi de ces grands noms uniquement pour apitoyer le pape et exciter un interet deja trop marque ? Ses visees, ainsi que celles de son souverain, etaient-elles en ce cas plus modestes ? Tout le long de la frontiere byzantine, sur une zone d'inegale profon­deur, mais surtout entre la vallee du Meandre et les defiles du Taurus, vivait en effet une population tres agissante de guerriers nomades (56) dont les incursions continuelles depeuplaient et ruinaient les provinces limitrophes. Dompter ces genants voisins, c'etait a la fois pourvoir a sa securite et agrandir le patrimoine national. Le prince mongol, porte a des egards envers son parent byzantin, consentirait plus facilement a ce qui, au fond, n'eut ete qu'un rajustement de frontieres. Ramene a ses proportions le gain n'etait pas negligeable pour un effort reduit.

Il semble bien toutefois que le negociateur de 1275 ait mise sur une restauration complete de l'empire grec en Asie Mineure. Trente trois ans plus tard, au fond de la prison ou l'aura confine la cabale des schismatiques, il jettera a la face de ses insulteurs le succes inoui de sa fameuse mission. Or, de son propre aveu, a quoi tendait celle-ci ? Rien moins qu'au retablissement de la souverainete nationale dans ses pre­mieres limites (57). On s'explique assez que Gregoire X, mal informe de la situation exacte de l'Anatolie, ignorant peut-etre sans doute le droit de suzerainete qui la rattachait aux Tartares, ait completement admis, s'il no le provoqua pas, le point de vue de son interlocuteur. Mais on concoit aussi aisement qu'un examen attentif l'eut detourne, lui et les princes occidentaux, d'une entreprise secondaire pleine d'aleas. Quoi qu'il en soit, un accord general avec ces memes Mongols etait la condition meme de la croisade et il n'est pas exclu qu'a la fa­veur d'un reglement general destine a extirper l'Islam, les 1 erres ana- toliennes eussent fait retour a leur ancien maitre byzantin. En toute hypothese, l'aide latine etait necessaire et la question se posa de savoir si elle serait accordee avant ou apres la conquete de la Palestine, ques­tion que Gregoire X voulut reserver en attendant de consulter l'empe­reur grec (58) et sans doute le conseil de guerre qui, en dernier ressort, deciderait sur place,

Dans le cadre de cette epoque tourmentee, ou se precipite le destin de Byzance, le plan de restauration concu par Michel VIII, tout egoiste qu'il paraisse en face des projets de croisade formes par l'Occident, avait du moins sur ces derniers l'avantage d'une certaine urgence. La puissance turque, faite de la collaboration occasionnelle de nombreux emirs sans programme de conquete et sans unite politique (59) , eut ete brisee et peut-etre a jamais par une offensive reguliere. L'operation rapidement conduite eut d'autre part fourni une base indispensable pour la conquete d'Antioche et de Jerusalem. Encore un demi-siecle de negligente expectative et les forces ottomanes, enfin cristallisees par un chef entreprenant, Umur beg, porteront en Europe meme le peril musulman.

Le trop long regne d'Andronic II (1282-1328) fut en effet celui de la phobie antiromaine. Fidele jusqu'au bout a un serment qu'une conju­ration de moines arracha a sa jeunesse imprevoyante, ce prince commit l'imprudence de vouloir neanmoins conjurer le peril grandissant avec l'aide latine, mais en dehors du Saint-Siege. L'Espagne, qui avait de­livre son pere de Charles d'Anjou, lui preta ses routiers catalans dont l'avidite ruinerait les finances de l'Etat et dont les usurpations con­sommeraient le morcellement de l'empire. Les v?ux des fanatiques, qui disaient preferer le joug musulman a la tyrannie pontificale, recut sans tarder un commencement d'execution. Et l'on s'explique qu'apprenant au fond de son cachot la continuelle avance des Turcs, Georges le Meto chite, ardent patriote et catholique decide, ait voue au fer musulman les tetes etroites qui, par haine du pape, abandonnait pour une politi­que de suic.ide la politique de salut et d'expansion dont il avait ete l'heureux negociateur. Le XIV e siecle connaitra encore, il est vrai, des recours sinceres a l'aide romaine, mais le mal sera trop.avance et le pouvoir du Saint Siege trop entame; surtout l'Occident qui, dans un elan de foi chevaleresque, s'otait passionne pour la delivrance des Lieux Saints, verra sans excessive emotion, s'effondrer graduellement un empire qui ne put ou ne sut, selon les circonstances, fixer son interet ou gagner ses sympathies.


NOTES

(1) Extrait de notre prochain livre : Le deuxieme concile de Lyon et la politique religieuse de Michel VIII Paleoloque.

(2) Sur ces visees imperialistes du premier empereur Paleologue, voir C. Chapman, Michel Paleologue, restaurateur de l'empire byzantin, Paris, 1926, 51 suiv. et W. Norden , Das Papsttum und Byzanz, Berlin, 1903, 403 suiv., 484 suiv., 541 suiv.

(3) La bibliographie la plus complete concernant l'histoire de ce pape est soi­gneusement compilee dans l'ouvrage recent de E. Nasalli Rocca di Corneliano , Problemi reliqiosi e politica del Duecento nell'opera di due grandi italiani, Piacenza, 1938, 144-151.

(4) Cf. W . Norden , op. cit., 543 suiv., 551 suiv.

(5) Sur la situation de l'Asie Mineure du XIII e siecle et la place qu'y occupait l'element turc, consulter P. Wittek. Das Furstentum Mentesche. Studie zur Geschichte Westkleinasiens im 13-15 Jh., Istanbul 1934, 1-31.

(6) Le sentiment de Norden. op. cit., 556, 557, qui tient pour illusoire la parti­ cipation de Michel VIII a la croisade projetee ne saurait etre retenu en definitive, car s'il y eut hesitation et calculs, la decision de Gregoire X etait trop arretee pour que son partenaire grec eut pu l'eluder. Les Grecs eussent certainement ete de la sainte entreprise pour quelques raisons peremptoires, mais ils l'eussent ete a leur facon habituelle qui fut toujours celle de leur interet. C'est sous cette reserve qu'il faut comprendre les declarations formelles du basileus que L. Delisle fit naguere connaitre: cf. Notices et extraits de la Bibliotheque Nationale, XXVII, 1879, nu. VII et VIII, pp. et 165. Voir d'ailleurs les textes dans Norden lui-meme, op. cit., 552 n. 2, 452 n. 2. L'empereur ne mettait a son concours qu'une condition formelle, que le pape garantit sa frontiere occidentale contre toute agression latine.

(7) Toutefois si l'idee n'etait pas nouvelle, elle ne fut jamais d'une plus grande actualite qu'au treizieme siecle, en raison meme de la position strategique des belligerants. Le pivot de la resistance musulmane s'etant apres la chute d'Alep deplace de Bagdad au Caire, l'Occident songea aussitot a le prendre a revers, dans l'espoir qu'un allie oriental, mongol ou grec, aide des Francs, l'assaillirait d'autre cote par la Syrie-Palestine. Gregoire X songeait a ce plan de guerre lorsque - a Lausanne, devant Rodolphe de Habsbourg et les apocrisiaires byzantins, il comparait les empereurs d'Orient et d'Occident aux deux bras d'une tenaille destinee a etreindre l'Islam.

(8) Comme l'on sait, Thibaut de Plaisance, simple archidiacre, etait legat du pape a Saint-Jean d'Acre, lorsque lui fut notifiee son election a la dignite ponti­ficale. En s'embarquant pour l'Italie, le nouveau pape fit le serment de pourvoir an pins tot aux malheurs d'une terre dont il connaissait l'extreme detresse. L'ex­pression s'en retrouve eu de nombreuses lettres emanees de sa chancellerie; cf. J. (GUIBAUD. Les registres de Gregoire X (1272-1270), Paris 1893-1006, en particulier dans les nn. 454, 494, 841.

(9) Du cote mongol et latin, les grecs se tenant au premier moment sur une pru­dente expectative. Pu juin 1265, ceux-ci n'envisageaient encore que le libre passage des croises sur les terres d'empire; texte du traite avec Venise cite par Norden, op. cit.. 556 n. 1.

(10) Elle ne prit toutefois d'engagement formel qu'au concile de Lyon (1274), les propos anterieurs s'averant d'autant plus faciles qu'ils n'avaient pas etc explicite­ment requis.

(11) Il promettait d'aider la croisade et per exercitum et per pecuniam et per victualia et per omnimodum aliam providenciam ; cf . Delisle, loc. cit., 162.

(12) Tandis que les envoyes de Michel partaient en Occident negocier la croisade, une seconde ambassade se rendait en Egypte conclure pour le meme souverain un traite d'amitie vers l'ete 1275; cf. Fr. Dolger, Regesten der Kaiserurkunden des ostromischen Reiches, Munchen, III 1932, 6G n. 2018. Et cette patente parut an soudan de telle qualite que, prie l'annee suivante par la reine de Bulgarie d'entrer dans une ligue contre Paleologue, il se garda d'en rien faire et renvoya les sollici ­ teurs avec dedain. Cf. M. Canard , Un, traite entre Byzance et l'Egypte au XIII', siecle et les relations diplomatiques de Michel VIII Paleologue arec les sultans MamhiJcs Baibars et Qala'un dans les Melanges Gaudefroy-Demombynes, Le Caire , 1937, 220, 21.

(13) Dans le chapitre qui dans mon prochain livre precedera celui-ci.

(14) On trouvera un nouvel examen de cette aventure seldjoukide qui mena Je prince et les siens de Koniah en Crimee en passant par Byzance et la Dobroudja dans le Memorial consacre a commemorer l'inauguration a Bucarest de l'Institut francais d'etudes byzantines.

(15) Izeddine, en se refugiant sur le Bosphore, fuyait la colere du khan Hulagu qui lui voulait mal de mort. Proteger le fugitif, c'etait pour Michel VIII contre­carrer les vues de son allie le plus necessaire..

(16) Tableau general du conflit en cours dans B. Grousset, Histoire des Croisades, III, Paris 1936, 584, 632 suiv., 648 suiv., 658 suiv., 692 suiv. ; voir aussi un expose plus systematique dans M. Canard, loc. cit., 209-219.

(17) Cf., G. Pachymeres , De Michaele Palaelogo V 11, ed. Bonn I 369 ; cf. Norden, op. cit., 491.

(18) L'effet psychologique de la prise de Byzance, place forte qu e 80.000 tataro-bulgares n'avaient pu reduire un quart de siecle plus tot, reveilla la foi du peuple au destin des grecs maitres passes et. futurs de l'?cumenie. Textes et monuments de l'epoque interpretent diversement mais sans equivoque cette croyance dans la restauration integrale de l'empire.

(19) Cf. G. Pachymeres, op. cit., II 23, ed. Bonn I, 128. Quand il fut grand di­gnitaire et qu'il eut deja marque quelque pretention au trone, les flatteurs, pour lui complaire, sc firent egalement prophetes; cf. Pachymeres, op. cit., I 11. ed. Bonn, I 28.

(20) Cf. Norden. op. cit., 541 ; Echos d'Orient, XXXIV, 1935, 50, 51.

(21) Cf. Norden, op. cit., 543.

(22) Cf. Norden, op. cit., 539 n. 2.

(23) Cf. E. Pade, Versuche zur Wiedererrichtung der hateinischen Herrschaft in Konstantinopel, Jena 1938, 48; Chapman, op. cit., 125. La victoire de D e metrias (1276) dechaina un tel optimisme que le basileus se crut a meme de chasser tous les latins de la Romanie o cou guerra o con patte; cf. Norden. op. cit., 547 n. 2- D'aout a decembre 1275, alors que le Metochite negociait avec le Saint Siege, Im­pression byzantine sur Durazzo et l'Albanie entiere rendait critique la position des angevins qui durent y depecher cil hate renforts et vivres; cf. de Thalloczy, Acta et diplomata res Albaniae Mediae Achitin illustrantia I. 1913, n. 339, 349. 350..

(24) Cf. Norden, op. cit., 368.

(25) Sur les operations clandestines du Paleologue contre les possessions latines, en 1275-1276, voir Chapman, op. cit., 126 suiv. ; Dade, op. cit., 48, 49; Norden , op. cit., 545-548.

(26) Valable a partir du 1" mai 1275; Dolger. op. cit., III, 2015; cf. Oiiapman , op. cit., 126.

(27) Cf. Dolger, op. cit., III 2015.

(28) Cf. Witter, op. cit., 15-32.

(29) Cette annee 1275 devait apporter aux musulmans d'Anatolie un ir mense espoir de delivrance, car elle vit le sultan Baibars occuper l'Armenie cilicienne et detruire le seul barrage qui les separat de leurs coreligionnaires de Syrie. Deux ans plus tard, quand se sera dissipee la menace de la croisade, Baibars penetrera pres­que sans coup ferir (printemps 1277) jusqu'au vj?ur de la Cappadoce mollement defendue par les vassaux musulmans du khan de Perse. Cf., Grousset , op. cit. III 094.

(30) Du temps de Michel Paleologue, on s'est tres exactement rendu compte que si le transfert de la capitale de Nicee a Constantinople servit a merveille le prestige politique de l'empire, sa force de resistance s'on trouva considerablement affaiblie.

(31 ) Cl. Dolger, op. cit., III 2015.

(32) Il concluait en effet cette annee meme un traite (l'amitie avec le prince musulman. Voir ci-dessus, p. 259, note 5.

(33) L'objection dut etre formulee au nom du Paleologue par le Metochite lui _ meme ainsi que le laisse nettement entendre la reponse d'Innocent V, a qui, apres la mort de Gregoire X, incomba la tache de donner suite a la demarche des By ­ zantins. Cf. Norden , op. cit., 557 en note.

(34) Cf. Norden , ibid. et Canard , loc. cit., 2-0-222.

(35 ) L'objet principal de cette ambassade byzantine (la croisade) et un autre se­condaire (l'attitude (lue Michel VIII desirait que le pape prit a l'endroit de ses vassaux recalcitrants) etaient deja connus par la reponse d'innocent V. Regeste dans Dolger , op. cit., III 2022 (avec sources et indications bibliographiques).

(36) Le texte de ce rapport, inedit dans le vatic. graec. 1710, ff. 72-74 v., et perdu au milieu d'une dissertation sur la procession du Saint Esprit, paraitra in extenso avec un lot d'autres pieces tres importantes, en appendice a mon livre precite.

(37) La rencontre des apocrisiaires et du pape se fit sans nul doute a Lausanne, car la presence de l'empereur germanique (Rodolphe do Habsbourg) y est signalee.

(38) A lire le recit du Metochite, on a d'autre part l'impression que l'initiative d'une action contre les Turcs d'Anatolie serait venue du pape lui-meme au cours des negociations. Mais de tout le texte il ressort nettement que si l'idee vint de Gregoire X, elle lui fut habilement suggeree.

(39) Aussi etrange que la chose puisse paraitre, la proposition de passage par terre fut formulee par le Paleologue et l'on a la le plus ferme indice do ses reelles intentions : ?ν γάρ ?νατεθειμένον μετά τ?ν ?λλων πρός το? στέλλοντος ?μ?ς α?τοκράτορος κατά συμβουλ?ς λόγον ε?πε?ν , ?ς ?ν ' ? δίοδος γενήται τ?ν κινηθησομένων δια΄ξηρ?ς , ? πρός τόν ?γιον Τόπον ?νάγουσα καί μή διά θαλάττης πολλήν τήν δυσχέρειαν ?χπούσοις ?χούσης λογικο?ς τα ζώοις καί το?ς ?λόγοις τ ? τοσούτ? μήκει το? διαστήματος. Vatic gr. 1716, f. 72 r.

(40) Le Liber recuperations Terme S anctae de Fidence de Padoue proposait un triple itineraire, en premier lieu le passage par la vallee du Danube, le Bosphore, la Bithynie, la Turquie et l'Armenie ; en second lieu, le rassemblement et l'embarque­ment a Brindisi pour lu cote dalmate et de la marche sur Constantinople ; mniu embarquement a Genes ou a Venise pour la Syrie ou l'Armenie. Texte dans l'edi­tion de G. Golurovic , Biblioteca bio- bibliografica d e lla Terra Santa e dell'Oriente Francescano, II, 1913, 51, 57. Route de terre, route de mer, combinaison des deux voies, Fidence opte resolument pour la seconde, contre l'avis presque unanime des autres theoriciens, en particulier de Brocard (cd. Historiens des Croisades, Arme­niens II, 359). Le pape, tout en pressant l'equipement d'une flotte a laquelle chaque prince ou republique devait fournir trois vaisseaux (cf. J. Guiraud, Les registres de Gregoire X, nn. 799 (Venise), 800 (Charles d'Anjou), se decida surtout pour la voie de terre, sans exclure nullement, en raison de buts strategiques precis, l'autre moyen de transport. Voir sur la question posee aux confins des XIII e et XIV* sie­cles par la necessite de faire voyager dans la plus grande securite des troupes de plus en plus nombreuses et plus fortement equipees, les notations de J. I D elaville LE Roulx, La France en Orient au XIV siecle, 1886, -20-39.

(41) Ce projet devait revivre avec l'assentiment et l'appui du pape et prendre a l'instigation de Charles de Valois, frere de Philippe le Bel, moins de vingt cinq ans plus tard (en 1298) une dangereuse tournure dans l'empire d'Orient. Cf. Delaville Le Roulx, op. cit., 43-45.

(42) Cf. cod. Vatican, gr. 1716, f. 72 r/v : καί ?ς ο?κονόμησε βασιλεύς διαμηνήσεσι τα?ς πρίς τόν ο?κε?ον γαμβρόν τόν τ?ν ?αταρίων δεσπόζοντα. D u temps du prince armenien Hay ton, on comptait encore sur cette tolerance du suzerain mongol ; cf. Historiens des Croisades, Armeniens II 359. Voir d'autre part l'idee que Brocard ( ibid. 502 suiv.) se faisait du role eventuel des Turcs dans le cas d'un passage par terre.

(43) Cf. cod. vaticun. gv\ 1716, f. 72v: ?ς ο?ν ταύτα γνοίη , βαθύ στενάξας καί π?ς ?ν τις ?πκρίνατο το? προκειμένου προβαίνοντος ?μ?ν ε?ς ε?όδοσιν ?ργου , ε?περ ε?δοκοίη Θεός , ?νίσχοιτο καθορ?ν τοιάνδε κληρουχίαν κατέχεσθαι χριστιανικήν ?σεβέσιν... καί μή παντί σθένει γενέσθαι διά σπουδ?ς ε?τε πρό τ?ς ?ναρρύσεως τ?ς Γ?ς ?γίας , ε?τε μετέπειτα ε?ς τήν προτέραν ?παναδραμε?ν δεσποτείαν καί τήν ?ρχαίαν ?ποκατάστασιν τήν χριστώνυμον.

(44) Principalement chez Guillaume d'Adam et Brocard; au sujet de leur maniere do voir, consulter Delaville le Roulx , op. cit., 7.3, 74. 93 97.

(45) Notices et Extraits, loc. cit., 164 (memoire de juillet-aout 1274).

(46) lbid., 165.

(47) Fidence fait du capitaine general des forces chretiennes un portrait si ideal qu'un pape pouvait seul l'incarner; ed. Golubovic, loc. cit., 41 (c. 49). En realite , Gregoire X exprima des la premiere session du concile de Lyon son intention de prendre personnellement part a la croisade ; cf. Norden, op. cit., 472 n. 2 ; llaro- nius, Annales ecclesiastici, ed. 1748, 111 394, s. a. 1274 (voir aussi s. a. 1275 n. XIII ).

(48) Cod. Vatican. 1716 f. 73 r : ?μ?ς μέν προαπέστειλεν ε?ς τήν Ρώμην ?πανελθε?ν , κ?κε?σε μένειν ό κατά σκοπόν τ?ς βουλήσεως ?πανακαλύψας , ?ς ?κε?θεν ?μ?ς μετά τό ?παναζε?ξαι πρός τόν πέμψαντα πέμπειν μετά τινος τ?ν ?πιφανεστέρων καρδηναλίων δι΄πα μέσης τ?ς το? χειμ?νος ?ρας.

(49) Vat. gr. 1716, f. 73 : α?τός δέ μετά τήν λαμπροφόρον ?μέραν τ?ς σωτηριώδους κυριακ?ς ?ναστάσεως ?ξελθών ?λεύσεται πρός Βρεντήσιον , ?τε Βασιλεύς ?φίξεται πρός Α?λ?να....

(50) Le pape tenait a ce que les rois, comme lui-meme prissent personnellement Part a la croisade. Les collecteurs pontificaux ne devaient leur remettre le montant (le la dime qu'a cette condition expresse et seulement au moment du depart ; cf. Baronius, op. cit., s. a. 1275 ii. xliv. La venue des princes eut entraine une affluence inaccoutumee de pelerins dont le passage, necessairement echelonne, sur les terres byzantines eut provoque d'inevitables heurts. En 1265. Michel VIII avait exige le serment prealable de ne pas attaquer son empire ; cf. Norden, op. cit., 556 n. 1. En 1274/75, il semble que la presence du pape ait suffi a le rassurer.

(51) Charles d'Anjou s'etait croise des avant le 13 octobre 1275, quand il recut cession des revenus d'une dime sexennale, a condition que lui et son fils prendraient la tete de leurs troupes.

(52) Cf. Grousset, op. cit., III 672, 673.

(53) Mouvements divers notes par le Metochite dans son rapport, cod. Vatican, gr. 1716, f. 74 r.

(54) Gregoire X annoncait, le 13 mars 1275. au khan Abaga l'envoi prochain d'une mission pontificale chargee de prendre toutes les dispositions utiles avant l'arrivee en Orient des troupes chretiennes. Cf. Guiraud, op. cit., n. 577, La demar­che de Michel VIII aupres de son parent fut donc allee au devant d'un accord deja presque conclu.

(55) Comme l'ecrira un peu plus tard le prince Hayton (cf. Historiens des croi­sades, Armeniens II 357), on croyait facilement que les Mongols vainqueurs cede­raient, en libre propriete, aux chretiens les pays par eux conquis a l'occident. Certes les asiatiques avaient multiplie les assurances touchant Jerusalem et la Palestine et l'on pouvait legitimement comprendre, contre paiement d'un tribut, dans ce don genereux les etats francs de Syrie dans leur ancienne extension. L'Anatolie turque n'avait jamais fait l'objet de promesses et sa possession, qui lui ouvrait la Medi­terranee, etait trop necessaire a la puissance mongole pour que sa cession put venir en discussion.

(56) La chronique de G. Pachymere contient de nombreux recits de leurs mefaits ; tableau general dans Witter, op. cit., 1-57 passim.

(57) Voir ci-dessus p. 267, 11. 1 le texte du rapport.

(58) Voir ci-dessus, p. 267 n. 1 le texte y afferent.

(59) Brocard (cf. Historiens des croisades, Armeniens II 511) signale que la perpetuelle division de ces emirs, et les revolutions incessantes qui les opposaient les uns aux autres affaiblissaient encore de son temps l'union et !a cohesion des forces.

{ contatti