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Annexion de l' lllyricum au Patriarcat Œcuménique

Syméon Vailhé , Echoes d'Orient 14 (1911), p. 29- 36

Dans les premieres années du v e siècle, au temps de la Notitia dignitatum , il y avait deux lllyricum dans l' empjre romain : l' lllyricum occidental qui relevait au point de vue civil du prcefectus pr . Italice , Africa et Illyrici , et l' lllyricum oriental, qui avait un prefet special , le prcefectus pr . illyrici . La prefecture de l' lllyricum oriental, comprenant les deux dioceses de Dacie et de Macedoine , fut cédée en 379 par l'empereur Gratien à son collegue Théodose comme cadeau de joyeux avènement; quant à l' lllyricum occidental, fort entamé déjà par les barbares, il fut rattaché à I'empire d'Orient entre les années 424 et 437, sans qu'on puisse exactement preciser la date.

Ces deux cessions benevoles furent le point de depart d'un grave conflit religieux entre, les papes et les évêques de Byzance. Tant que cette vaste region , de langue grecque en majorité, avait fait partie de l'empire occidental, les Byzantins avaient trouvé fort naturel que ses metropolitans et ses évêques se soumissent à la juridiction du patriarche romain, mais du jour ou Constantinople exerça sur eux la suprématie politique, elle réclama également la suprématie religieuse. C' etait , bien avant l'emploi du terme, la revendication de I'oecuménicité , c'est-à-dire de la haute juridiction ecclesiastique sur toutes les provinces et sur toutes les villes qui civilement etaient soumises à la capitale de l'Orient. Et comme, pour des raisons faciles à concevoir, les empereurs grecs appuyaient de toute leur autorité les tendances centralisatrices des évêques de leur capitale, ceux-ci ne devaient pas tarder à entrer sur ce point en lutte plus ou moins ouverte avec le Saint-Siege .

Il semble que l'institution par Rome d'un vicaire apostolique à Thessalonique, charge de la représenter en ces regions lointaines, ait coincidé avec la cession de l' Illyricum oriental à l'empire grec. Du moins, l'honneur en est attribué au pape saint Damase, qui mourut le 11 decembre 384, et le premier titulaire en fut saint Ascholius , mort lui-même, selon toute probalité , au debut de l'année 383. Saint Damase, qui avait, peu avant la reunion du IIe Concile oecumenique , écrit deux lettres à Ascholius pour le mettre en garde contre l'élection de Maxime le Cynique (1), l'établit vers le même temps son représentant en lllyrie , ainsi que l'assurent d'une manière très explicite une lettre du pape Innocent l er , de l'année 402, à Anysius de Thessalonique (2), et une autre lettre de ce même Pape, de l'année 407 ou 408, à Rufus , successeur d' Anysius (3). Le pape Sirice (384-399), succes­seur de Damase, confirma Anysius dans sa charge (4), de même que le pape Anastase I er (nov. 399, dec . 401), ainsi que nous l'apprend une lettre d'Innocent Ier à Anysius (5). Le pape Innocent Ier à son tour, conféra les mêmes pouvoirs à Anysius et à Rufus (6), et c'est dans sa lettre que nous trouvons l'énumération des provinces soumises à la juridiction de ce vicariat apostolique: Achaie , Thessalie, Vieille et Nouvelle Epire, Crète, Dacie mediterranéenne , Dacie ripuaire, Mésie, Dardanie et Prevalitane .

Le vicaire apostolique de Thessalonique avait le droit d'informer sur les affaires ecclésiastiques de I'lllyricum et d'en déci­der, en lieu et place du Pape. A ce titre, il présidait les Conciles regionaux des diverses provinces de l' lllyricum , jugeant et tranchant les differends , sauf à remettre au Pape la décision à porter sur les affaires d'un caractère plus grave, ou bien quand les interessés en appelaient eux- mêmes au suprême tribunal romain. Il confirmait de plus l'élection des metropolitains et des simples évêques, et accordait l'autorisation de procéder au sacre. Dans les premiers temps, les Papes Iui avaient réservé l'ordination, non seulement des métropolitans , mais encore de tous les évêques; mais, dès le Ve siècle, sur la plainte des métropolitains, Rome concéda à ceux-ci la consécration de leurs suffragants. Enfin, le vicaire apostolique de Thessalonique siégeait à une place privilegiée dans les Conciles oecumeniques et il en souscrivait les decisions immédiatement après les patriarches. Bref, il jouissait des prerogatives d'un exarque, d'un patriarche même pourrait-on dire, soumis il est vrai à un autre patriarche, celui de Rome.

La premiere tentative que l'on surprend d'une usurpation de pouvoir, de la part de Byzance, sur le vicariat apostolique de Thessalonique se rapporte au commence­ment du pontificat de saint Boniface (déc. 418-sept. 422 ). La série de pièces relatives au procès de Perigène en fournit la meilleure attestation (7). Celui-ci, désigne par le métropolitain de Corinthe pour occuper le siège de Patras, n'avait pas été accepté des fidèles de cette ville; il dut revenir à Corinthe, son pays natal, semble-t-il, où, grâce à l'intervention du pape Boniface, il remplaça le métropolitain, quand celui-ci vint à mourir (419). Les circonstances de la promotion de Perigène sont également mentionnées par un contemporain, l'historien Socrate (8); on peut donc tenir le fait pour incontesté.

Ce transfert de Périgène d'un siège (non occupé, il est vrai) à un autre, sans doute aussi des compétitions personnelles donnerent à cette nomination une gravité inattendue. Des évêques d' lllyrie s'en plaignirent à Rufus , vicaire apostolique de Thessalonique, puis au pape saint Boni­face, et n'en obtenant aucune satisfaction, ils recoururent à I'évêque de Constanti­nople, Atticus . Sur sa demande, ils déciderent la convocation d'un Concile à Corinthe pour régler le différend, décision qui fut immédiatement annulée par Rome, qui ne pouvait, sous peine de disparaître, tolérer que l'on revisât une sentence canonique portée par son vicaire apostolique et confirmée par elle-même. Alors Atticus , dont nous soupçonnons les agissements tortueux dans cette affaire, s'adressa au pouvoir civil, et, le 14 juillet 421, paraissait une loi de Théodose II, qui rattachait les provinces de l' lllyricum oriental à l'Eglise de Constantinople (9), en interdisant à quiconque de décider les affaires importantes de I'lllyrie sans l'autorisation de l'évêque de la nouvelle Rome, qui a herité des prerogatives de I'ancienneRome .

Cette loi ne trouva pas ou trouva peu d'application . En effet, peu apres sa promulgation, l'empereur d'Occident, Honorius, transmettait à son imperial neveu, Theodose II , les réclamations du pape saint Boniface, « contre certains rescrits obtenus par subreption et qui violaient les droits acquis du Saint-Siège en lllyrie » (10). Cette intervention d'Honorius décida Théodose II à lui répondre qu'il faisait droit à la requête pontificale et qu'il aliait informer le préfet du prétoire de l'Illyrie de tenir la loi de 421 pour non avenue; en même temps, il rejetait la faute, non sur Atticus qu'il ne mentionnait pas, mais sur le compte des évêques d' lllyrie (11).

La constitution impériale deThéodose II, qui aurait rétracté celle du 14 juillet 421, n'a pas été retrouvée, et rien ne prouve même qu'elle ait jamais existé; des ins­tructions adressées au préfet du prétoire ont pu suffire à retarder les effets de la première loi. Ouoi qu'il en soit de ce point particulier, il est certain que l' Illyricum continua à être soumis directement au Pape pour les questions religieuses. Nous avons, en effet, une lettre du pape saint Celestin , datée de l'année 424, adressée à neuf métropolitans d' lllyricum et qui mentionne, de plus, les deux metropoli - tains de Thessalonique et de Dyrrachium (12); elle leur enjoint d'obéir à Ru­fus de Thessalonique, le vicaire du pontife romain. D'autre part, en 435, le pape Sixte III envoie deux lettres relatives aux droits du métropolitain Anastase de Thes­salonique. Dans la seconde, qui est du 8 juillet, Sixte III rappelle au synode de la ville que les privilèges accordés par lui à leur évêque ne diffèrent pas de ceux que Rome avait précédemment accordés aux prédécesseurs d'Anastase (13). Et ces privileges indiques d'une maniere explicite ne peuvent que se rapporter au vicariat apostolique. Deux autres lettres du même Sixte III, en date du 18 décembre 437 et adressées, l'une à Proclus, évêque de Constantinople, la seconde à tout l' episcopat illyrien (14), ne laissent pas le moindre doute sur les rapports réels de cet épiscopat avec le métropoli­tain de Thessalonique. Celui-ci est confirmé par le Pape dans tous ses droits anterieurs , et avec une insistance qui montre bien que, çà et là, des métropolitains d' lllyrie s'efforçaient, avec l'appui de l'évêque de la capitale, de se soustraire à I'autorité de Rome.

Eli I'année 439, malgré que la loi du 14 juillet 421 eut été abrogée, elle fut inserée dans le Code Theodosien : ma­noeuvre habile de l'évêque byzantin, qui posait là, à n'en pas douter, la pierre d'attente de sa future autorité sur cette région. Comme l'a si bien dit Mgr Duchesne: « En ce qui regarde les affaires religieuses d' lllyricum , l'influence de Rome et de Ravenne ne pouvait s'exercer que par intermittences, par lettres et députations; celle du patriarcat de Constan­tinople était sans cesse presente , sans cesse agissante. Quel miracle qu'elle ait prévalu à certains moments? » (15). Elle ne prévalut pourtant pas jusqu'à faire abandonner par le Pape ses droits de souveraineté. Apres comme avant l'insertion dans le Code de la loi de 421, l'organisation ecclesiastique de l' Illyricum resta ce qu'elle était, et jusqu'au schisme d' Acace , en 484, la juridiction pontificale continua à s'y exercer. Par deux fois, il est vrai, Constantinople essaya de contester cette suprématie de Rome, d'abord en faisant promulguer la lot du 14 juillet 421, ensuite en la faisant inserer dans le Code theodosien , en 439, mais ces deux tentatives des patriarchies byzantins et de la cour impériale demeurerent vaines.

Nous avons vu les papes Boniface, Ce­lestin et Sixte ne tenir aucun compte de la loi de 421; nous allons voir après 439 le pape saint Leon agir dans l' Illyricum comme si cette loi n'avait pas ete inscrite dans le Code. Dès l'année 444, il recommande aux métropolitans de l' lllyrie l'obéissance à son legat , I'évêque de Thes­salonique, mais en specifiant quels sont les droits dont celui-ci jouit, comme ses lointains prédécesseurs au temps de saint Sirice (16). Mêmes recommandations dans la lettre que saint Leon adresse le même jour à Anastase de Thessalonique: le metropolitain peut elire et ordonner les évêques de sa province, suivant les règles canoniques, mais il doit au préalable en obtenir I'autorisation d'Anastase; par contre, c'est ce dernier qui ordonne les métropolitains et qui convoque évêques suffragants et métropolitains aux Con­ciles régionaux, ou tous sont tenus, sauf pour des raisons majeures, de comparaître. Comme précédemment, les causes d'un intérêt supérieur sont réservés au jugement direct de Rome, sans passer par la médiation de Thessalonique (17). Somme toute, la législation arrêtée dès le début par les papes Damase et Sirice ne s'est presque pas modifiée.

Les mêmes avis sont donnés et les mêmes privilèges continues dans les deux réponses de saint Leon (446) à six métro­politains de l'Illyrie et au titulaire de Thessalonique (18). Toutefois, les procédés par trop cavaliers d'Anastase vis-à-vis de ses subordonnés, surtout à l'égard d' Atticus , métropolitain de Nicopolis d'Epire, qu'il avait contraint par la force à assister au concile, y reçoivent un blâme des plus significatifs, en même temps qu'une certaine restriction est apportée à I'exercice de ses prérogatives. Les excès même que commit, en la circonstance, le vicaire apostolique fournissent la meilleure preuve que l'on pourrait invoquer à l'appui de cette organisation ecclésiastique, car Ana­stase fit enlever Atticus par les soldats romains, sur ordre formel du préfet du prétoire, et le força ainsi à venir pardevant lui se soumettre à sa juridiction. Acte d'autorité inoui dont le prefet n'aurait jamais pris la responsabilité, si les provinces d'Illyrie eussent vraiment reconnu la suprématie religieuse de Cons­tantinople. Dans une lettre de saint Leon à son successeur, Euxitheus , de l'année 457, les privilèges du vicariat apostolique de Thessalonique sont encore confir­mes (19), et il serait loisible d'en trouver d'autres attestations dans le reste de la correspondance de ce Souverain Pontife.

Le schisme à propos d' Acace (484-519) troubla gravement cette situation. Les évêques de Thessalonique observerent la même attitude que l'ensemble de l'épiscopat byzantin et perdirent, pour cette raison, la communion du Pape. Dès lors, il ne pouvait être question de leur conférer les pouvoirs de vicaire apostolique. On ne voit pas que, dans cette période, les patriarches de Constantinople aient repris leurs tentatives d'annexion. L' lllyricum fut abandonné à lui-même; les Papes faisaient ce qu'ils pouvaient pour maintenir dans leur commu­nion et dans leur obédience certains groupes épiscopaux sur lesquels ils se trouvaient avoir plus d'action. C'est ainsi que Gelase renoua des relations avec les évêques de la Dardanie et des provinces voisines, pays latins, plus accessibles que d'autres aux conseils de Rome (20). Ces relations se maintinrent; nous avons encore (21) une lettre du pape Symmaque adressée aux évêques de ce pays. Anastase II échangea des lettres avec l'évêque de Lychnide ( Achrida ), dans l'Epire nouvelle (22). Dès avant la mort de l'empereur Anastase, l'Epire ancienne était rentrée dans la communion romaine, par l'intermédiaire de son métropolitain, Alcyson de Nicopolis. Ces démarches n'étaient pas sans danger. L'empereur Anastase, irrité, manda à Constantinople les évêques de Nicopolis, de Lychnide, de Sardique , de Naissus et de Pautalia ; deux d'entre eux y moururent, dont le métropolitain Alcyson (23).

 

C'est dans ces circonstances que se produisit une manifestation assez imposante de l'épiscopat d'lllyricum. Quarante évêques de ces r£gions, indignés de ce que le métropolitain de Thessalonique fût entrée en communion avec Timothée, patriarche intrus de Constantinople, se réunirent et rédigèrent une piece par laquelle ils décla raient rompre avec lui et rentrer dans la communion de Rome. En rapportant ce fait, Théodore le Lecteur donne à l'évêque de Thessalonique le titre de patriarche, ce qui étonne très fort Théophane, auquel nous devons ce fragment de Théodore… Ce qui est suir, c'est que l'autorité exercée par les évêques de Thessalonique sur les métropolitains et autres prélats d'lllyricum ressemblait beaucoup à la juridiction patriarcale. II n'y avait qu'une différence, c'est que la juridiction patriarcale etait ordinaire, inhérente à un siège determiné, tandis que la juridiction de Thessalonique n'était que déléguée; c'était la juridiction patriarcale du Pape, exercée par commis­sion spéciale.

Une fois l'union rompue (484), les pouvoirs délégués avaient céssé par le fait. Les évêques de Thessalonique firent de grands efforts pour échapper aux conséquences qui découlaient de là . Des le temps de Félix III, André, qui occupait alors ce siège, s'efforça à diverses reprises de renouer avec Rome, sans se mettre mal avec le gouvernement (24). L'entreprise etait malaisée, il y echoua. Dorothée, son successeur, sembla d'abord être dans les mêmes dispositions; mais le clerge de Thessalonique était alors soumis à des influences théologiques peu favorables à I'union. Quand l'empire eut change d'attitude et donné satisfaction au pape Hormisdas (519), la résistance se prolongea quelque temps à Thessalonique; on se porta même à des violences sur la personne des légats romains envoyés pour celébrer la réconciliation. Dorothée était rcsponsable de ces désordres; mais le principal instigateur avait été un prêtre, Aristide, contre lequel le pape Hormisdas se montra très irrité. Hormisdas aurait voulu que Dorothée fût déposé, auquel cas il demandait qu'on ne le remplaçat pas par Aristide. Ce conflit, sur la suite duquel nous ne sommes pas renseignés, finit cependant par s'apaiser. Dorothée resta évêque, et même il eut Aristide pour suc­cesseur.

Ce n'est évidemment pas à de tels prélats que les Papes auraient songé pour les repré­senter ; aussi est-il inutile de chercher une trace quelconque de délégation de pouvoirs, de vicariat apostolique, au temps de Dorothee et d'Aristide. A ce point de vue, la situation dcmeura depuis 519 ce qu'elle avait dtd auparavant, au temps du schisme. Les rapports de communion furent rétablis tant bien que mal; ce fut le seul changement (25).

Si le vicariat apostolique de Thessalonique ne fut pas retabli apres l'union des deux Hglises orientale et occidentale, en 519, les Papes recouvrerent, du moins, leur ancienne juridiction sur tout I'lllyricum. L'af­faire d'Etienne, metropolitain de Larissa, deposd en 531 par le patriarche byzantin Epiphane, au mepris de tout droit, et retabli par le pape Agapit, ne laisse aucune prise au doute sur ce point (26). Le metropolitain, aussi bien que trois de ses suffragants, Elpidios de Thebes, Timothée de Diocésarée et Etienne de Lamia, denoncent les empietements de Byzance et affirment qu'il appartient au Pape de sauvegarder les lois dans toutes les Eglises, « surtout dans son lllyricum » (27).

La question de Justiniana pritna en est une nouvelle confirmation. Le 14 avril 535 paraissait la Novelle XI de Justinien, adressde a Catellianus, archeveque de justiniana prima, ancien village natal de Tempereur, et par Iaquelle il etait declare que le titulaire de ce siege, jusque-là simple metropolitain de la province de Dardanie, serait desormais archeveque de plusieurs provinces, non solum metropolitanus sed et archiepiscopus. Ces provinces sont la Dacie mediterraneenne, la Dacie ripuaire, la Mesie II, la Dardanie, la Prevalitane, la Macédoine II, et ce qui restait encore a l'empire byzantin de la Pannonie 11, en somme tout l'ancien diocese de Dacie (28). Dans les Novelles imperiales, les évêques de ces provinces sont affranchis à l'avenir de tout lien avec Thessalonique, ce qui suppose evidemment qu'ils dependaient de cette metropole auparavant. Par suite de ce remaniement imperial, l'ancienne préfecture d'lllyrie, qui avait eu son siège tantôt à Thessalo­nique et tantôt a Sirmium, se trouvait reportée à justiniana prima; et il était juste, ajoutait l'empereur, que les honneurs ecclésiastiques suivissent les honneurs civils et que l'évêque de cette ville acquit une prééminence speciale en devenant une sorte d'exarque pour les pro­vinces de l'ancien diocèse de Dacie.

Si la législation des codes théodosien et justinien — la loi de 421 venait d'être insérée dans ce dernier — avait été appliquee, l'assentiment du patriarche byzantin aurait du être requis pour cette réorganisation ecclésiastique, puisque c'est à lui que Théodose II avait confié la haute juridiction sur ces provinces. Or, ce n'est pas avec l'évêque de sa capitale, mais avec celui de Rome que Justinien négocie quand des protestations s'élèvent contre sa loi. Le pape Agapit, informe du changement survenu en lllyrie par une ambassade impériale de Constantinople, remet (29) l'examen de I'affaire à ses légats (15 octobre 535.) La décision ne fut pas prise tout de suite malgré le voyage d'Agapit à Byzance, et ce fut avec l'un de ses successeurs, le pape Vigile, que l'on conclut un arrangement définitif apres des pour­parlers assez longs. D'accord avec Vigile, l'empereur dédouble (30), le 18 mars 545, la juridiction supérieure de l'Illyricum, et crée, au profit de son pays natal, un nouveau diocèse ou exarchat. Le titulaire de Justiniana prima aura sous son autorité et il ordonnera les évêques des sept pro­vinces indiquées, lui-même sera ordonné par son propre concile et sera, dans les provinces de sa circonscription, « le représentant ( locum tenens) du Siège apostolique de Rome, selon ce qui a été deftni par le saint pape Vigile », ajoute la Novelle.

La forme sous laquelle s'exerça cette nouvelle primatie fut celle d'un vicariat apostolique, analogue a celui des évêques d'Arles et à celui qui avait fonctionné, au siescle précédent, entre les mains de l'évêque de Thessalonique. Nous sommes peu renseignés sur ce nouveau vicariat. Dans la correspondance de saint Gregoire, il est souvent question de l'autorité du Pape en Illyricum, très rarement de celle de ses vicaires. Cependant, on y trouve (31) les pièces relatives aux pouvoirs conférés à Jean de Justiniana prima; ces pouvoirs sont encore mentionnes dans deux lettres adressées aux métropolitains de Sardique et de Scodra (32) subordonnés au vicaire, enfin dans une lettre fort dure, adressée au vicaire lui-même, coupable de prévarica­tion dans un jugement (33). Après saint Gregoire, aucun évêque de ce siàge n'est connu (34).

L'évêque de Thessalonique conservait pourtant son titre de vicaire pontifical avec la juridiction supérieure sur les autres provinces de l'Illyricum oriental, à savoir la Macedoine I re , la Thessalie, l'Achaie, la Crète, la Vieille et la Nouvelle Epire. Cela ressort d'une lettre de saint Gregoire le Grand (35), où le metropolitain de Nicopolis est qualifié de minor relativement à celui de Thessalonique. Cela res­sort aussi d'une autre lettre du pape saint Martin l er (649-653), qui reproche vivement à l'un d'eux de lui avoir écrit sans se qualifier ainsi (36). Au Vl e Concile oecumenique de 681, Jean de Thessalo­nique signe encore comme vicaire ponti­fical (37).

Quant à la juridiction pontificale, elle s'exercait indifféremment sur l'un ou l'autre vicariat, celui de justiniana prima comme celui de Thessalonique. Saint Gregoire le Grand n'ecrivit pas moins de 21 lettres durant son pontificat (590-604) relatives à l'Illyricum et qui, toutes, demontrent que le Pape etait le vrai patriarche de ces provinces. Au cours du VIIe siècle, nous rencontrons plusieurs exemples de haute juridiction métropolitaine que les évêques de Rome exercent sur ces contrées. Ainsi, en decembre 628, le pape Honorius écrit à plusieurs évêques d'Epire pour suspendre la confir­mation d'Hypace, nouveau métropolitain d'Epire, et lui enjoindre de venir s'expliquer à Rome (38). En novembre 649, le pape saint Martin dépose Paul, archevêque monothelite de Thessalonique, et sa lettre marque expressement que ce prelat dépend du Saint-Siège (39). En decembre 667, le pape Vitalien intervient dans les affaires de Crète et casse la sentence de deposi­tion prononcee dans un concile provincial contre l'évêque Jean de Lampe par l'archevêque Paul et par ses suffragants (40).

Vers l'année 635, afin de contenir les Avares au deli des frontières de l'empire, Heraclius demande le concours des Croates et des Serbes qu'il installe dans la partie septentrionale de l'Illyricum. Et comme le Siège de Rome exerce sur ces provinces de l'empire grec les droits patriarcaux, l'empereur prie le Pape d'y envoyer un archevêque, des évêques, des prêtres et des diacres qui réussissent peu après à faire penétrer le christianisme parmi eux, conversion qui, malheureusement, est de fort courte durée (41), du moins chez les Serbes. Aux conciles de Constantinople de 681 et de 692, les évêques de l'Illyricum se rattachent nettement au patriarcat romain, aussi bien que les évêques italiens délégués par le Pape. Enfin, dans l'Ecthesis du pseudo-Epiphane, tableau de la hiérarchie ecclésiastique du patriarcat byzantin vers le milieu du VIIe siècle, ne figure aucune métropole ou évêché des dix ou onze provinces de l'Illy ­ ricum, comprises soit dans le vicariat de Thessalonique, soit dans celui de Jus­tiniana prima.

On peut done conclure que, au moins jusqu'au VIIe siècle, les provinces ecclésiastiques de tout l'Illyricum ont été considerées comme faisant partie du pa­triarcat romain. L'empereur Léon l'lsaurien, le premier, semble avoir dérogé à cette tradition lorsque, vers I'année 732, après l'excommunication lancée contre lui par le Pape, il éleva le chiffre du tribut de la Calabre et de la Sicile, confisqua les patrimoines de l'Eglise romaine dans cette région et atteignit l'autorité du Pape en lui arrachant l'obédience des évêchés de l'Illyrie et de l'ltalie méridionale qui furent dorénavant rattachés au patriarcat de Constantinople. Telle est, du moins, l'in­terprétation que l'on a cru pouvoir donner d'un texte assez obscur de Theophane (42). Elle est confirmée par la réflexion étrange du clerc Basile, qui, au IXe siecle, mentionne qu'un certain nombre de métropoles d'ltalie ou d'lllyrie ont été soumises à la juridiction de Constantinople, parce que « le Pape de l'ancienne Rome était entre les mains des barbares » (43).

Le fait que, au moment du VII e concile oecuménique (787), des négociations s'engagent entre Rome et Byzance pour que les provinces enlevées au Pape lui fassent retour, tandis qu'en 681, lors du VIe Con­cile, elles dépendaient encore de lui, vient encore à l'appui de cette assertion. Entre ces deux dates, en effet, nous ne voyons que l'affaire iconoclaste (726-787), qui, en modifiant la nature des rapports religieux des deux Eglises, a dû conséquemment amener des changements dans leur juridiction réciproque. C'est ce que déclare expressément le pape Adrien l sr , dans une lettre adressée à Charlemagne après le concile de 787 (44). Ce Pape fit des de­marches successives auprès de la cour byzantine et auprès du patriarche saint T araise (784-806) pour recouvrer son ancienne juridiction; mais ses deux lettres, avant d'etre lues devant les membres du Vll e concile, furent allegees de tout ce qui avait trait a la juridiction de Rome sur l'Ftaiie meridionale et sur l'UIyrie, ainsi que le dit Athanase le Bibliothecaire (45), et ainsi qu'en te- moignent les actes mêmes du concile, ou les deux lettres peuvent se lire, mais considerablement abregees (46). Les reclama­tions de Rome etaient done demeurées infructueuses.

Pendant les regnes troubles de Con­stantin VI (790-797), d'Irène (797-802), de Nicephore (802-811) et de Michel Rhangabe (8i 1-813), les Papes ne purent recuperer leurs privileges patriarcaux. Sous les empereurs de la deuxieme periode iconoclaste, Leon l'Armenien (813-820), Michel le Begue (820-829) et Theophile (829-842), ils avaient beaucoup plus a soutenir les catholiques persecutes qua se preoccuper de leur juridiction sur rillyricum. Lorsque, riconoclasme enfin vaincu, la question put etre reprise, un nouvel dlement de discorde avait surgi, le peuple bulgare, qui, installe depuis deux siecles sur une bonne partie des territoires contestes, venait d'etre converti par les missionnaires romains et byzantins et qui, par suite, ne savait trop a qui entendre. Nous verrons une autre fois comment se termina ce conflit, a la defaveur des deux pretendants et au seul benefice de la nation bulgare. Ceci, bien entendu, pour les provinces occupees par ce peuple turco-slave; quant aux pro­vinces du Sud-Ouest de I'lllyrie, celles qui faisaient encore partie de l'empire byzantin, elles resterent comme auparavant, malgré toutes les protestations des Papes, sous l'autorite du patriarche de Constantinople, et, dans les premieres annees du x e siecle, 1'empereur Leon VI, d'accord avec le patriarche Nicolas, les incorporait definitivement a l'Eglise de la capitale.


Notes

(1) Mansi , Conciliorum collection VIII, p. 749 sq.

(2) Mansi, op. cit., t. VIII, p.751 .

(3) Mansi, op. et loc. cit.

(4) Mansi, op. cit·, t. VIII, p. 750 sq. Litteras dederamusut nulla licentia essetsine consensu tuo in lllyrico episcopos ordinare prcesumere.

(5) Mansi, op. cit., t. VIII, p. 751 A.

(6) Mansi, op. cit., t. VIII, p. 751.

(7) Mansi, op. cit., t. VIII, p. 752-759.

(8) Hist. Eccles ., I. I. VII. c. xxxvi, Migne, PG LXVII, 820.

(9) Cod. Just., Cod. I, tit. II, 6, dans Corpus juris civilis , edit. Beck, Leipzig 1837, p. 9.

(10) Mansi, op. cit., t. VIII, p.759.

(11) Mansi , op. et loc. cit.

(12) Ep. Ill , Migne, P. L„ t. L, col. 428: Nec nova haec sedi apostolicce cura de vobis est: statutum, nostis, scepius experimentum hoc quod nos aginius, Thessalonicensi ecclesice semper esse cominissum, ul vobis vigilanter intendat .

(13) Ep. VII et VIII, Migne , P. L., t. L, col. 610- 612 : Habeant honorem suum meiropolitani sin- gularum (provinciarum), salvo hujits privilegio quern honorare debeanl amplius honorati. In pro- vincia sua jus habeanl ordinandi; sed hoc, inscio pel invito quem de omnibus volumus ordinatio~ nibus consuli, nullus audeat ordinare. Ad Thessalonicensem tnajores causa referanturantistitem .

(14) Ep. IX et X, Migne , P. L., t. L, col. 612-618. Qu'on remarque ce passage, col. 617 B: Illyricance omnes ecclesice, ut a decessoribus nostris accepimus, et nos quoque focimus, ad curam nunc pertinent Thessalonicensis antistitis .

(15) Duc hesne , Eglises séparées . Paris, 1896, p. 278.

(16) Epist. V , Migne , P. L., t. LIV, col. 615-616.

( 17 ) Epist. VI, Migne, P. L ., t. LIV, col. 616-620.

(18) Epist. XII et XIV , Migne , P. L., t. LIV, col. 663-677; voir aussi col, 1220.

(19) Epist. CL, Migne, P. L., t. LIV, col. 1120.

(20) Jaffé, Regesta , 623, 624, 635, 638, 639, 664; Thiel , Epistolae romanorum pontificum , t. I, p. 348.

(21) Jaffé, Regesta , 663.
(22) Jaffé, Regesta , 746.
(23) Chron. Marcellini com ., anno 516.

(24) Jaffé, Regesta , 617, 638, 746. Thiel , Epistolae romanorum pontifucum , t. I, 630.

(25) Duchesne, Eglises séparées , p. 260-265, passim.
(26) Sur cette affaire, voir Duchesne , op. cit., p. 244-260.

(27) Mansi , Concil. collectio, t. VIII, col. 739-772.

( 28) Elles sont énumerés dans la Novelle XI et la Novelle CXXXI , c. m.
(29) Mansi , op. cit., t. VIII, col. 853 A.

(30) Novelle CXXXI, c. iii.

(31) Jaffé, Regesta , 1164,1165.

(32) Jaffé, Regesta , 1325, 1860, 1861.

(33) Jaffé, Regesta , 1210.

(34) Duchesne, op. cit., 271.
(35) Jaffé, Regesta , 1921.

(36) Jaffé, Regesta , 2071.

(37) Mansi , op. cit., t. XI, col. 669.

(38) Mansi , op. cit., t. X, col. 581.

(39) Mansi , op. cit., t. X, col. 833- 849, surtout 837 C.

(40) Mansi , op. cit., t. XI, col. 16- 19.

(41) Constantin Porph yrogénète , De administrando imperio , c. xxxi, Migne, P. G., t. CXI I I, col. 284-292, et G. Markovitch , Gli Slavi ed i Papi . Agram, 1897, t. I, p. 32 - 38 .

(42) Chronographia , A. M. 6224, Migne , P. G., t. CVIII, col. 828.

(43) Gelzer, Georgii Cyprii descriptio orb is romani , p. 27.

(44) Mansi , op. cit., t. XIII, col. 808 sq.

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