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L'aspect ascétique du Bogomilisme

Slavica occitania, Toulouse, 16, 2003, p. 67-78
par Théofanis L. Drakopoulos

La thèse prédominante qui a fortement marqué les recherches sur le bogomilisme pose que ce mouvement eut principalement un caractère antiféodal en constituant une expression populaire de résistance à l'introduction des coutumes ecclésiastiques et poli­tiques de l'empire byzantin. Cette analyse unilatérale a été accom­pagnée d'une méconnaissance de l'aspect ascétique du mouvement, bien que ce dernier fût omniprésent dans les sources. Que le bogo­milisme assumât un ascétisme basé sur la renonciation radicale au monde matériel est indéniable. Cet élément le différencie du paulicianisme, et rend plus compliquée la question des origines de son système métaphysique.

En effet, lors de son apparition, le bogomilisme fut considéré comme le résultat des activités missionnaires des pauliciens '. Les influences exercées par le paulicianisme sur ce nouveau mouve­ment sont indiscutables, en particulier pour ce qui concerne la conception dualiste du monde (1). Mais cette filiation supposée n'est pas si évidente au regard de l'ascétisme bogomile. D'après les sources (2), les pauliciens non seulement ne menèrent pas une vie ascétique, mais, au contraire, furent dénoncés par les écrivains ecclésiastiques pour leur train de vie libertin (3). De plus, leur qualité de bons guerriers, capables d'affronter l'armée impériale à plusieurs reprises, signifie que l'effusion de sang n'était pas interdite chez eux comme elle l'était chez les bogomiles.

Toujours d'après les sources, ces derniers se présentent comme prédicateurs d'une vie ascétique rigoureuse, plus rigoureuse encore que celle des moines orthodoxes. La question cruciale concernant l'origine du bogomilisme, dont la réponse peut avoir de nombreuses implications, est celle de la provenance de cet ascétisme. Une première réponse, la plus évidente, est que le bogomilisme appartient aux systèmes dualistes, dont la grande majorité avait adopté des modèles ascétiques, selon la théorie qui voyait dans la matière une création démoniaque et dans l'esprit une création divine, et y enseignait le détachement de la chair et du monde matériel. Mais, en même temps, nous constatons que la vie ascétique des bogomiles ressemblait à celle de l'Église orthodoxe et que les pratiques bogomiles se répandirent particulièrement dans les milieux monastiques.

Un parcours rapide des sources nous le confirme. Cosmas le Prêtre accuse l'exaltation du monachisme du mouvement et résume sa polémique contre cette forme d'ascétisme par cette phrase : « Si ce qui te fait partir est la conviction que le monde est souillure, si tu condamnes la vie conjugale en estimant qu'il est impossible de se sauver en vivant ainsi, alors tu es entièrement dans la thèse des hérétiques (4). » Plus précisément, la vie des Parfaits consistait dans le refus absolu de la richesse (5), dans l'abstention d'aliments d'origine animale (6), dans le refus de consommer du vin (7) et dans l'inter­ diction de la procréation (8). Cosmas le Prêtre fait apparaître les bogo miles non seulement comme très proches des chrétiens dans la vie quotidienne (9), mais aussi comme zélés par rapport à la moralité austère du christianisme. Ils récitaient de nombreuses prières quotidiennes u, observaient plusieurs jeûnes annuels (10) et s'abstenaient de toute activité qui servaient le seigneur de ce monde: le diable (11). Eux-mêmes se qualifiaient de bons chrétiens (12). Ce fait nous conduit à admettre que l'élément chrétien joue un rôle important dans leur tradition dualiste. Chez Cosmas le Prêtre, les bogomiles sont considérés comme prédicateurs de la pauvreté apostolique, de la vie ascé­tique et comme austères accusateurs de la décadence morale du clergé et des moines orthodoxes.

Quelles conjonctures historiques favorisèrent la critique du monachisme chrétien? Lors de l'apparition du bogomilisme, les communautés monastiques étaient-elles décadentes, justifiant ainsi le rejet d'une vie monacale dénaturée? Or, en effet, nous constatons que l'éthique radicale ascétique du bogomilisme apparaît au moment d'une dégradation au sein des communautés des nouveaux monastères de Bulgarie, communautés fondées sous la forte influence byzantine. Le développement accéléré de la vie monas­tique en Bulgarie au milieu du X e siècle est considéré comme l'une des raisons fondamentales de l'expansion de l'hérésie (13). Lors de ce développement, et à travers cette phase de transition que traversè­rent les monastères nouvellement établis, nous constatons qu'il y eut un relâchement de l'enseignement religieux et l'orientation de nombreux moines vers la nouvelle hérésie. Le relâchement de la discipline monastique commença certainement par Byzance, comme le constate V. Phidas (14). Ce fait n'échappe pas à Cosmas le Prêtre, qui nous informe d'une série de manquements aux règles imposées aux moines de son époque, comme la violation du célibat, l'abandon des monastères, l'insubordination à l'higoumène, l'éta­blissement de monastères sous leur propre autorité où ils prenaient comme loi leurs propres mœurs, etc. C'est pour cette raison que l'auteur insiste sur le besoin de soumission et de discipline envers les higoumènes, et cite à ce propos des passages bibliques. Le désin­térêt des moines pour la vie spirituelle, les lettres et les sciences signale la décadence de la vie monastique durant cette période (15).

Cette dégradation disciplinaire et spirituelle favorisa certaine­ment l'expansion d'idées hérétiques au sein des monastères. À cette époque, nous remarquons que certaines communautés monastiques d'Asie Mineure étaient influencées par une nouvelle forme du messalianisme. Le cas du moine Éleuthère de Paphlagonie, fondateur d'un établissement monastique à Môrocampos de Lycaonie, éta­blissement qui lui survécut un demi-siècle, est représentatif de l'in­troduction des pratiques mystiques au sein des monastères du X e siècle. Un procès fut instruit contre lui sous le patriarcat de Polyeucte (956-970) et sa mémoire fut à nouveau condamnée sous Alexis Stoudite (1025-1043). Soulignons que la Lycaonie - et la Pamphylie limitrophe - ont fourni un refuge aux messaliens chassés d'Orient (16). Comme le note J. Gouillard, plusieurs moines de Paphlagonie ont été attirés par l'Europe byzantine. Ces moines réta­blirent les pratiques messaliennes, dont l'abjuration des démons par les crachats (17), pratique adoptée par les euchites de Thrace selon la description de Psellos (18), et également par les cathares (19).

Je considère que non seulement une partie du monachisme du X e siècle s'est écartée de l'orthodoxie, mais que les fondateurs eux- mêmes de ces mouvements hérétiques provenaient probablement des milieux monastiques (20). Cette hypothèse gagne en vraisem­blance si nous tenons compte des liens stricts du mouvement avec les cercles monastiques. Notons que le fondateur du mouvement bogomile fut appelé « pope », terme interprété correctement par H. Puech et A. Vaillant comme l'équivalent du prêtre en grec (21).

L'hérésie était fortement répandue dans les monastères ortho­doxes sous la forme du néomessalianisme. Les adeptes de ces pra­tiques mystiques furent appelés enthousiastes ou euchites, si bien que le cas d'Éleuthère de Paphlagonie doit être examiné à travers les doctrines euchites décrites par Psellos vers 1050. Mais quels sont donc les hérétiques dénoncés par Psellos dans son Dialogus de daemonum operatione ? Plusieurs historiens prétendent que les euchites ne sont autres que les bogomiles (22). Si nous tenons compte du témoignage de l'auteur selon lequel il y avait plusieurs tendances dans ce mouvement, nous pouvons conclure qu'il s'agissait d'une mosaïque de croyances dualistes, renforcée par l'expansion du bogomilisme. Psellos mentionne l'existence de trois factions diffé­rentes dans ce mouvement, qui se distinguaient par leur croyance concernant les deux fils de Dieu (23) et par la question de savoir lequel détenait la plus grande puissance dans le monde. La doctrine selon laquelle Dieu est le seigneur du monde supérieur, le Christ a pou­voir sur les choses célestes et Satanaël sur les choses terrestres, est indéniablement d'origine bogomile. La vénération du Diable par une faction des euchites, pour échapper à sa colère, remonte à une origine messalienne. La seule conclusion que nous pouvons tirer concernant le sens du terme « euchites » est que celui-ci décrit tant les bogomiles de la Thrace que d'autres groupes hérétiques : les néomessaliens, qui vinrent d'Asie Mineure en Thrace au VIII e et au IX e siècles, et les enthousiastes (24).

La pénétration du bogomilisme dans les milieux monastiques s'accentue au fil du temps d'après les sources byzantines qui, dans leur ensemble, nous informent que le mouvement s'est répandu dans les monastères orthodoxes et que ses adeptes portaient la bure des moines. Soulignons ici que le premier témoignage concernant l'expansion du bogomilisme dans le monde grécophone appartient à Euthyme de la Peribleptos, qui rédigea une lettre dans la première partie du XI e siècle, adressée à ses compatriotes de la métropole d'Akmonie, afin qu'ils se préservent des hérétiques appelés phoun- dagiagites en Asie Mineure (25) ou bogomiles dans les éparchies euro­péennes de l'empire. Il faut noter qu'Euthyme de la Peribleptos fut informé sur les doctrines bogomiles par une personne qui revêtait la bure et se faisait passer pour un prêtre (26). L'écrivain nous rapporte que non seulement ils portaient des vêtements de moines, mais aussi ceux de prêtres (27). Il dénonce JeanTzourillas, l'hérésiarque qui créa des communautés monastiques dans cette région, et mentionne que l'hérésie avait même gagné des adeptes au sein des moines du monastère de la Peribleptos de Constantinople (28). Le fait que quatre hérétiques étaient entrés dans ce monastère constitue un nouvel élé­ment de notre recherche et signifie que, dès le début du XI e siècle, les bogomiles exerçaient leur influence dans les centres monas­tiques aux alentours de la capitale pour arriver, un siècle plus tard, à pénétrer dans le cercle aristocratique grâce à l'activité de Basile. Euthyme de la Pléribleptos mentionne un aspect très significatif de l'enseignement de Jean Tzourilas : « Si nous ne sommes pas des moines, alors nous ne sommes pas des chrétiens et ne pouvons pas être nommés tels» (29).

Les écrivains ultérieurs soulignent le fait que les bogomiles por­taient des vêtements de moines. Or Jean Zonaras mentionne que le chef des bogomiles de Constantinople était vêtu comme un moine (30). Une des explications de l'apparition des hérétiques a été donnée par Euthyme Zigabène, qui relate que les hérétiques se revê­taient comme des moines afin d'utiliser l'autorité spirituelle de ces derniers pour leur propre propagande dans la société byzantine (31). Sur le même sujet, Anne Comnène rapporte un témoignage très important sur l'histoire de l'évolution du bogomilisme, en mention­nant les pratiques de prosélytisme de l'hérésie ; celles-ci permettent de comprendre la grande expansion qu'elle connut, et expliquent aussi pourquoi il est difficile de la mettre à jour. D'après Anne Comnène, les bogomiles étaient vêtus comme des moines et menaient leur propagande en secret. La phrase qui nous intéresse nous informe qu'il était impossible de trouver des bogomiles parmi les laies. Bien au contraire, tous les adeptes du mouvement por­taient la bure monacale (32). Certes, il y a une contradiction, car un peu plus loin elle affirme que le bogomilisme était répandu dans les plus hautes classes sociales de la capitale, comme nous pouvons le conclure du terme pAyiareç oixisç (33). De ce point de vue, nous constatons une grande évolution de l'hérésie, qui débuta comme mouvement dualiste à fort caractère ascétique, pour se répandre finalement dans les classes les plus élevées et aussi, selon Obolensky, dans les milieux philosophiques (34).

Il convient de signaler que souvent, dans la littérature anti-héré­tique, le bogomilisme est assimilé aux autres mouvements dualistes (euchites, messaliens, enthousiastes). Je ne prétends pas qu'il s'agisse des mêmes systèmes métaphysiques, mais je pense que les écrivains byzantins supposaient une base commune, un mysticisme radical qui survécut plus de deux siècles dans les milieux monas­tiques ; je tenterai de montrer leurs éléments communs. Vers 1085, Théodore Blachemite fut condamné pour ses pratiques et ses théo­ries mystiques. L'anathème contre celui-ci commence par une cita­tion sur l'origine de ses pratiques. Selon le rédacteur, elles provenaient des messaliens et des bogomiles qui s'appelaient aussi euchites, enthousiastes, encratites et marcionistes (35). Nous pouvons résumer ses doctrines fondamentales de la manière suivante : la vision sensible de la nature divine à travers la pratique de l'enthou­siasme et de l'extase (36), la perception sensible de l'action du Saint- Esprit, la méconnaissance des Écritures, des Apôtres et des Pères, la substitution à la tradition ecclésiastique d'autres enseignements, la croyance selon laquelle c'est le Christ lui-même qui donne le pardon aux péchés et non les mystères de l'Église, la distinction entre chrétiens éclairés parfaits et imparfaits. Malgré l'opinion de J. Gouillard, pour qui les enseignements de Théodore Blachemite sont d'origine messalienne (37), comme nous l'avons déjà constaté, ses doctrines étaient aussi bogomiles (38). En 1117, dans une énumé­ration des précédents canons faisant jurisprudence, à la fin du XI e siècle, le métropolite Nicétas d'Héraclie nous renseigne sur la condamnation de Théodore Blachemite qui, selon lui, adopta les théories des enthousiastes (39).

Sous le règne de Jean Comnène (1118-1143), nous constatons à nouveau une influence des théories bogomiles dans les communau­tés monastiques à travers l'œuvre de Constantin Chrysomallos. En 1140, des moines du couvent de Kyr Nikolas à Hiéron remirent au patriarche Léon Styppés l'ouvrage de Constantin Chrysomallos, mort depuis peu. Le synode de Constantinople, convoqué la même année sous le patriarcat de Léon Stippés, condamna les deux cent cinquante chapitres comme étant des opinions d'origine enthou­siaste et bogomile (40). En effet, les thèses de la théorie de Chrysomallos, telles qu'elles sont exposées dans la condamnation du synode, présentaient plusieurs influences bogomiles, par exemple, la soumission à la noblesse, assimilée à l'adoration de Satan (41), le refus des sacrements ecclésiastiques, etc. Mais la princi­pale doctrine de sa théorie concernait le baptême spirituel, opposé au baptême de l'Église et qui présente, selon Euthyme de la Peribleptos et Euthyme Zigabène, des analogies frappantes avec le rite bogomile. D'après Constantin Chrysomallos, l'homme baptisé n'était pas un chrétien véritable, mais un serf de Satan, tant qu'il n'avait pas pénétré le Saint-Esprit ( epignosis ) et saisi intelligible­ment ( noesis) dans son âme la restauration du baptême spirituel. La restauration impliquait la disparition du mal dans l'homme, sa déli­vrance des péchés (42) et la réalisation de la volonté de Dieu par ses actes, la pzraaroixeicjaiç ou ' avauroix^icjcnç (43). Avec le bap­tême spirituel, l'homme n'avait pas besoin d'être soumis aux règles morales, mais il les observait volontairement. La participation à la vie liturgique de l'Église et les prières n'assuraient pas la libération de l'âme et la délivrance de son inclination au péché. Les œuvres des fidèles n'avaient de valeur que dans l'illumination de la grâce du Saint-Esprit et les actes de la grâce amenaient à une restauration de la nature humaine dans son état premier libéré définitivement du péché (44). Comme le mentionne la condamnation synodale de Chrysomallos, ce deuxième baptême spirituel provenait des théo­ries bogomiles (45). La doctrine qui évoquait l'existence de deux âmes, ἁμαρτητική et ἀναμάρτητος , était, selon le rédacteur du texte synodal, indéniablement d'origine bogomile et messalienne (46).

Trois ans après la condamnation de Chrysomallos, en 1143, l'Église orthodoxe découvrit que les doctrines bogomiles avaient fait des adeptes parmi le clergé. Basile, métropolite de Tyanes, évoqua devant le synode deux moines-évêques sous sa juridiction, Léonce de Balbissa et Clément de Sasima, suspectés d'activité bogomile. Pendant la première séance, il fut mentionné que leurs enseignements hérétiques étaient d'origine bogomile (47). L'accusation contre leurs théories bogomiles fut formulée à la deuxième audience, qui se tint le 1 er octobre 1143. Selon le texte synodal, leurs doctrines et leurs pratiques considérées hérétiques étaient les suivantes : les hommes mariés devaient renoncer pendant trois ans à tout commerce conjugal et s'abstenir d'absorber du vin et toute nourriture animale. Aucun chrétien ne pouvait être sauvé s'il n'était pas moine (48). La prosternation devant la croix était per­mise, mais uniquement dans le cas où elle portait une inscription concernant Jésus. Ils rebaptisaient les enfants des chrétiens, consi­dérant que le baptême de l'Église n'était pas valable à cause des péchés du clergé. De plus, ils ne reconnaissaient pas les miracles opérés par la croix, les considérant comme une opération diabo­lique (49). Leur anathème était basé sur le deuxième baptême des fidèles, une pratique considérée comme bogomile selon le rédac­teur (50).

En conclusion, le bogomilisme s'insère dans une époque carac­térisée par le bouillonnement des idées et par une contestation de la tradition ecclésiastique, fondée sur les pratiques mystiques qui assu­rent à l'individu un salut supérieur à celui du formalisme liturgique de la communauté chrétienne. Ces pratiques mystiques, d'origine messalienne, accompagnées d'une critique farouche contre l'ineffi­cacité de la vie liturgique de l'Église officielle, favorisèrent la nais­sance d'une nouvelle tradition gnostique. Le bogomilisme appartient à ces milieux mystiques et pseudo-dualistes à caractère ascétique, ce qui explique la raison pour laquelle il se répandit dans les milieux monastiques. Cette orientation du mouvement s'inter­prète comme le résultat de sa rencontre avec le messalianisme, seule hérésie pseudo-dualiste et ascétique de cette époque (51). Néanmoins, et en dépit de l'affirmation de l'érudit Euthyme Zigabène selon laquelle le bogomilisme fait partie du messalianisme (52), notre avis est que ces mouvements étaient réciproquement influencés et que leur base commune était la suivante : la libération de l'homme du pouvoir de Satan, seigneur de ce siècle et des démons, par une renonciation au monde matériel, l'illumination continuelle du Saint Esprit à travers le rite du baptême spirituel, la vision de la Sainte Trinité, la méconnaissance de la tradition biblique et patristique, ainsi que le remplacement de la tradition liturgique. Soulignons que le bogomilisme décrit par Cosmas le Prêtre à la fin du X e siècle ignorait toutes ces pratiques mystiques. C'est au cours du XI e siècle, à la suite d'une rencontre avec les communautés néomessaliennes ou euchites d'Asie Mineure, qu'il les assume. Et tout particulière­ment le baptême spirituel, rite également adopté par les cathares. Comme nous l'avons vu, c'est à cause de ce rite commun à tous ces mouvements que les écrivains ecclésiastiques les classèrent ensemble sans aucune distinction. À notre avis, le problème de l'origine des hérésies médiévales, comprenant aussi les cathares, est strictement lié à ce type de baptême spirituel, adopté par plusieurs mouvements de la dissidence comme un rite alternatif connu dans les premières communautés enthousiastes du christianisme, forte­ment influencées par une tradition johannique.


NOTES

(1) Une grande partie des communautés pauliciennes d'Arménie fut transférée par Constantin IV en Thrace pour renforcer les iconoclastes. La deuxième migration paulicienne dans la péninsule balkanique s'accomplit sous le règne de Jean Tzimiscés en 978. Les pauliciens furent installés à Philippople. Sur l'organisation des missions pauliciennes parmi les Slaves, nous consulterons Pierre de Sicile, Histoire de l'hérésie des manichéens pauliciens, PG 104, 1241 b, c.

(2) Cette influence devient plus évidente à la lumière d'un détail méconnu : selon les sources, les bogomiles empruntèrent aux pauliciens la vénération de l'empereur ico­noclaste Constantin IV, qui régna presque deux siècles avant l'apparition du bogo­milisme : voir Euthyme Zigabène, Panoplia Dogmatica, PG 130, 1308 d.

(3) Les sources du paulicianisme sont réunies dans Les sources grecques pour l'histoire des pauliciens d'Asie Mineure. Texte critique et traduction par C. Astruc, W. Conus-Wolska, J. Gouillard, P. Lemerle, D. Papachrysanthou

(4) Pierre de Sicile, Histoire de l'hérésie..., op. cit., PG 104, 1256 ; Photius, Contre les manichéens, PG 102, 28.

(5) Cosmas le Prêtre, Slovo na eretiki ( Discours contre les hérétiques ), M.G. Popruzenko dir., Odessa, 1907 ; trad. H. Ch. Puech & A. Vaillant, Le traité contre les bogomiles de Cosmas le Prêtre, Paris, 1945, p. 86. Au sujet de la distinction entre les moines orthodoxes et les bogomiles, voir Théodore Balsamon, In can. Ll apost., PG 137, 141 b-c.

(6) Ibid., p. 106.

(7) Le traité..., op. cit., p. 78 ; Euthyme de la Peribleptos, Liber invectivas contra haeresim exsecrabilium hcereticorum qui Phundagiatae dicuntur, PG 131,44 b ; Euthyme Zigabène , Panoplia Dogmatica, ibid., 1324 b, 1325 c ; Théodore de Balsamon, Canones Sanctorum Apostolorum, PG 137, 141 c; Germain II de Constantinople, Contra Bogomilos, PG 140, 629 b.

(8) Le traité..., op. cit., p. 79 ; Le livre secret des cathares, Interrogatio lohannis, Edina Bozôky éd., Paris, 1980, p. 75.

(9) Panoplia Dogmatica, PG 1325 d ; Le traité..., op. cit., p. 77-78.

(10) Le traité..., op. cit., p. 55.

(11) Ibid., p. 83-84. Euthyme Zigabène, Panoplia Dogmatica, op. cit. 1313 d. 1316a.

(12) Le traité..., op. cit., p. 55.

(13) Le traité..., op. cit., p. 86-86. Selon Euthyme Zigabène, cette doctrine était basée sur le passage de l'évangile de Jean 14:11: Panoplia Dogmatica, PG 130, 1298 c.

(14) Cette dénomination fut adoptée aussi par les pauliciens et les cathares.

(15) D. Obolensky, M. D. Knowles, « La suprématie pontificale et la diffusion de la foi », in Nouvelle histoire de l'Église, Paris, 1968, v. II, p. 369.

(16) « L'impressionnant développement du monachisme durant le X e siècle fut inévitablement accompagné par un relâchement de l'austérité de l'ascétisme. La distinction des moines entre μεγαλόσχημοι et μικρόσχημοι, connue dès le IX e siècle, était directement liée à l'allégement de l'ascétisme, alors qu'elle était progressive­ment introduite au mont Athos malgré la forte polémique des ascètes sévères. Au cours de la même période, le système de l' ἰδιορρυθμία [idiorrythmie] de l'ascétisme se répandit, selon lequel chaque moine avait le droit de le pratiquer seul dans une cabane tout en s'approvisionnant au monastère » : V. Phidas, Bv ζάντιο, Athènes, 1997, p. 314 (trad. du grec par nous,-T.D.).

(1 7 ) Le traité..., op. cit., p. 100-105 ; voir aussi S. Gheorghieff, Les Bogomiles et le pr e sbyter Kosmas, Fribourg, 1920, p.99-102.

(18) J. Gouillard, Quatre procès mystiques à Byzance, Paris, 1978, p. 9.

(19) « Je m'étais lié avec Néophyte et le fréquentais assidûment. Un jour, il m'emmena dans un coin tranquille, décrivit à terre un cercle, me fit installer au centre, et m'invita à confesser mes fautes passées. Docilement j'obtempérai. Alors lui, comme en proie à l'inspiration, m'enjoignit d'ouvrir la bouche. Comme je lui en demandais la raison, il répondit : Je cracherai dedans et tu verras des yeux de ton corps l'Esprit Saint descendre sur toi » : J. Gouillard, op. cit., p. 49, 86 ; 50, 92 ; Timothée de Constantinople, De receptione, PG 86, 48 b ; Jean Damascène, De hœresibus, PG 94, 732 b.

(20) Psellos, Dialogus de dœmonum operatione, PG 122, 855 a-b.

(21) Il faut noter que d'après le Synodikon de l'Orthodoxie, les parfaits projetaient des crachats sur les candidats initiés en accomplissant le rite du baptême spirituel. Dans l' Histoire albigeoise de Pierre de Vaux de Cemay, pendant le baptême des cathares, le parfait soufflait sept fois dans la bouche du candidat.

(22) Une hypothèse déjà connue par plusieurs historiens, mentionnée en bref par M. Dando dans son œuvre fondamentale Les origines du Catharisme, Paris, 1967, p. 37-38. Cette hypothèse est élaborée par D. Obolensky. Selon lui, « it is in the numerous defects of the monastic life in tenth-century Bulgaria that we find the origin of heresy »: The Bogomils, A study in Balkan Neo-manichaeism, Cambridge, 1948, p. 104.

(23) Ibid. p. 54.

(24) D'où nous concluons que les bogomiles se sont inspirés des pratiques mystiques du messalianisme. H.-Ch. Puech & A. Vaillant, Le traité contre les bogomiles de Cosmas le Prêtre, op. cit., p. 326. Ils considèrent que le nom « euchite » n'est pas utilisé pour décrire les messaliens, mais pour caractériser un mouvement mystique qui utilisa les pratiques ascétiques des messaliens, sans toutefois être une hérésie concrète. A propos de l'identification des euchites aux bogomiles, voir D. Obolensky, The Bogomils, p. 184 ; J. Duvemoy, Le catharisme : L'histoire des Cathares, Toulouse, 1979, p. 35. Position contraire soutenue par M. Dando, Les ori­gines du catharisme, Paris, 1967, p. 35.

(25) PG 122, 825 a.

(26) D. Obolensky, op. cit., p. 187. Comme nous allons le voir, pour les écrivains ecclé­siastiques ces termes décrivent en général un pseudo-dualisme mystique. À notre avis, on peut expliquer de cette manière le schisme, dans les communautés bogo- miles, que présupposent les sources latines postérieures pour interpréter l'antagonisme entre l'ordre Druguntia et l'ordre Bulgaria à la fin du XII e siècle dans les communautés cathares.

(27) Liber invectivas contra haeresim exsecrabilium haereticorum qui Phundagiatae dicuntur, PG 131, et G. Ficker dir., Die Phundagiagiten : Ein Beitrag zur Ketzergeschichte des byzantinischen Mittelalters, Leipzig 1908 ; J. Ivanov soutient que l'expansion de l'hérésie est due au fait que cette région fut colonisée par divers peuples bulgares provenant de Thrace et de Macédoine, ce qui l'amène à supposer que Jean Tzourilas était d'origine bulgare : J. Ivanov, Livres et légendes bogomiles (Aux sources du catharisme), 1976 (trad. du bulgare), p. 65. Cette hypothèse est adoptée par D. Obolensky, qui considère que les enseignements de J. Tzourilas étaient indéniablement d'origine bogomile : voir The Bogomils, op. cit., p. 176. J'ajouterai que le mot « funda » désigne la besace portée par les moines pour rece­voir l'aumone.

(28) PG 131,49 a.

(29) Ὑποκρίνονται δέ δολίως οἱ δόλιοι τόν χριστιανισμόν, καί τό τῶν μοναχῶν σχῆμα, καί τήν ἱερωσύνην. PG 131, 48c.

(30) PG 131, 52 c.

(31)Χριστιανόν οὐ δυνάμεθα, εί μή τό μοναχικόν σχῆμα ὑποκριθῶμεν, καί χριστιανούς ἐάν τούς ὀνομάσομεν.

(32) Τῆς δἐ τοιαύτης αἱρέσεως κῆρυξ ἦν καί μέγας διδάσκαλος καί προβολεύς τῶν παρ' αὐτοῖς ἀποστόλων, Βασίλειος τις λεγόμενος ἰατρός σχῆμα μέν περικείμενος μοναχοῦ. Jean Zonaras, Annalium lib., XVIII, PG 134, 305 c. Anne Comnène, Alexiade , PG 131, 1169 c.

(33) Στολίζονται κατά μοναχούς, καί τό σχῆμα τούτων ὡς δέλεαρ περιβάλλονται, τῷ κωδίῳ τόν λύκον ὑποκρύπτοντες, ὡς ἄν εὐλαβῶς διά τό σχῆμα παραδεχόμενοι, καί χώραν ὁμιλίας λαμβάνοντες, ἀνυπόπτως διά τῆς χρηστολογίας ἐναποπτύουσιν τόν ἰόν ταῖς ἀκοαῖς τῶν ἀκροωμένων. Panopl. Dogm ., PG 130, 1320 c.

(34) Ἐλάνθανε δέ, δεινότατον γάρ τό Βογόμιλων γένος ἀρετήν ὑποκρίνασθαι, καί τρίχα μέν κοσμικήν οὔκ ἄν ἴδοις βογομιλίζουσαν, κέκρυπται δέ τό κακόν ὑπό τόν μανδύαν καί τό κουκούλιον, καί ἐσκυθρώπακεν ὁ Βογόμιλος, καί μέχρι τινος σκέπτεται καί κεκυφώς βαδίζει καί ὑποψιθυίζει τό στόμα, τἄνδὄθι δέ λύκος ἐστιν ἀκάθεκτος. Alexiade , PG 131, 1168 b-c.

(35) Καί γάρ ἐνεβόθυνεν τό κακόν, καί εἰς οἰκίας μεγίστας καί πολλοῦ πλήθους ἥψατο τό κακόν. Alexiade , PG 131, 1176 d.

(36) The Bogomils . p. 102.

(37) Περί τῆς βλασφήμου καί πολυειδοῦς αἱρέσεως τῶν ἀθέων Μασαλιανῶν τῶν καί Ἰουδαϊκῶν καί Πογομίλων καλουμένων καί Εὑχιτῶν καί Ἐνθουσιαστῶν καί Ἐγκρατιτῶν καί Μαρκιωνιστῶν. J. Gouillard, op. cit., p. 53.

(38) Une autre caractéristique de la théorie des bogomiles concernant Dieu était l'an­thropomorphisme dans les visions de l'hérésie : Dieu apparaissait comme un vieillard à longue barbe, le Fils comme un homme à barbe naissante et le Saint- Esprit comme un adolescent imberbe: Λέγουσιν οὐκ ὄναρ μόνον πολλάκις, ἀλλά καί ὕπαρ βλέπειν τόν Πατέρα μέν, ὡς γέροντα βαθυγένειον, τό τόν δέ Υἱόν, ὡς ὑπηνήτην ἄνδρα, τό δέ Πνεῦμα τό ἅγιον ὡς λειοπρόσωπον νενανίαν. Panopl. Dogm ., PG 130, 1320 b.

(39) Ibid., p. 21.

(40) Sur la vision sensible de la nature divine et l'apparence de la Sainte Trinité à face humaine, on consultera Panopl. Dogm., PG 130, 1293 d.

(41) J. Darrouzès, Documents inédits d'ecclésioiogie byzantine, Paris, 1966, p. 304.

(42) πολλά δέ τῶν ἐμπεριεχομένων ταύταις καί ἰδίᾳ κατασκοπήσαντες καί συνοδικῶς ἐξετάσαντες οὐκ ἐρεσκελιῶν μόνον και καινολογιῶν ἁπλῶς καί μωρολογιῶν, ἀλλά καί αἱρέσεων προφανῶς ἀνάμεστα εὕρομεν, καί πλέον τῶν ἄλλων Ἐνθουσιαστῶν τε καί Βογομίλων. J. D. Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio , Graz 19161, v. XXI, 553 d.

(43) Le traité, op. cit., p. 86 ; Mansi, XXI, 553 e.

(44) Mansi, ibid., XXI, 557 a, b, c.

(45) Αὖθις ἀναστοιχειώσεως τύχωσι καί μορφώσεως τῶν ψυχικῶν αὐτῶν ἕξεων μυστικῆς διαμεσιτείας καί ἐπιθέσεως τῶν χειρῶν τῶν ἐπιγνωμόνων οἰκονόμων τοῦ μεγάλου τούτου μυστηρίου καί τῆς ἱερᾶς γνώσεως ἐπιστημόνων. Mansi, ibid., XXI, 556 a, b.

(46) Mansi, op. cit., XXI, 556 d, e.

(47) Τῆς τῶν Βογομίλων αἱρέσεως ἀναμφίβολον γνώρισμα τό καθ ' ἡμᾶς ὡς ἀτελές διασυρόντων ἅγιον βάπτισμα καί δεύτερον εἰσαγόντων τό ἑαυτόν τελειοποιόν καί παρεκτικόν θείου Πνεύματος. Mansi, XXI, op. cit., 557 b.

(48) Ἀλλά καί τό ἤ δύο ψυχάς τόν Χριστιαόν ἔχειν, ὡς φησίν, ἤ μή εἶναι Χριστιανόν, οὕτω ρητῶς ὑπό τῆς τῶν Μεσσαλιανῶν ἤτοι Βογομίλων παμβεβήλου θρησκείας δογματίζειν εὕρηται. Mansi, XXI, op. cit., 557 c.

(49) λεγομένοις δυσιν τισιν ἐπισκόποις τῷ Κλημέντι καί τῷ Βαλβίσσης Λεοντίῳ βογομιλικῆς ἀσεβείας προσάπτειν αἰτίαν, ὡς κακῶς καί διδάσκουσι. Mansi, XXI, op. cit., 584 e-585 a.

( 50 ) Cf. n. 29.

( 51 ) Mansi, XXI, op. cit., 588 d, e ; Panopl. Dogm., PG 130,1321 a ; cf. aussi Le traité..., op. cit., p. 77.

(52) Ἠρκήσθημεν καί μόναις ταῖς ὁμολογίαις αὐτῶν, καί τόν ἀναβαπτισμόν τέως καί τήν τῶν ἁμαρτανόντων ἀποβολήν ὡς μηδέ μετά τόν θάνατον αὐτοῖς συγχωρεῖν γεννήματα ἤ παιδεύματα τῆς τῶν βογομήλων εἶναι θρησκείας, διαγιγνώσκοντες, ἵνα τά γε νῦν ἔχοντα πλείονα παραδράμωμεν, βογομηλικῶς αὐτός φρονεῖν καί διδάσκειν ὁμολογουμένως διαγινώσγομεν. J. Gouillard, op. cit., p. 76, 111- 115.

(53) En effet, D. Obolensky explique l'orientation de l'hérésie vers les cercles monastiques de l'empire par un contact des bogomiles avec les messaliens, l'hérésie dualiste la plus ascétique ; cf. The Bogomils, op. cit., p. 177.

(54) Ἡ τῶν βογομίλων αἵρεσις οὐ πρό πολλοῦ συνέστη τῆς καθ ' ἡμᾶς γενεᾶς, μέρος οὖσα τῆς τῶν Μασαλιανῶν, καί συμφερομένη τά πολλά τοῖς ἐκείνων δόγμασι, τινά δέ καί προσεξευροῦσα, καί τήν λύμην αὐξήσασα. Panopl. Dogm., PG 130, 1289 d.

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