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Dimensions Ecclésiologiques de la Communion des Saints dans les Œuvres de Saint Jean Chrysostome

Evêque Athanase Yevtic, Χρυσοστομικό Συμπόσιο, Η προσωπικότητα και η θεολογία του αγίου Ιωάννου του Χρυσοστόμου, Αθήνα 2007, εκδ. Αποστολική Διακονία, σελ. 217-225

Parmi les Pères de l'Eglise qui ont traité simultanément des prob­lèmes de l'Eucharistie et de l'Eglise, l'une des premières places revient indubitablement à Saint Jean Chrysostome. Chrysostome est l'un des plus remarquables théologiens qui aient fait la théologie du m y stère de l'Eglise et du mystère de l'Eucharistie. La caractéristique fondamentale de sa théologie -on peut le dire tout de suite- consiste en ce que ces deux mystères, c. à d. celui de l'Eglise et celui de l'Eucharistie, coïncident pleinement chez lui. Bien plus, ils sont identiques chez lui. Et justement l'une des notions fondamentales qui relient, réunissent et même identi­fient l'Eglise et l'Eucharistie, est la notion de κοινωνία - communion.

Le mot κοινωνία - communion se trouve chez Chrysostome, à la suite de l'Apôtre Paul, très souvent. Avant tout nous le trouvons dans sa Liturgie, qui est bien de lui -au moins les prières qui sont dans sa liturgie sont de lui- comme l'a démontré dernièrement dans son doctorat le pro­fesseur de notre Institut, l'Evêque George d'Eudocias. Cependant nous ne nous arrêterons pas dans notre rapport sur la Liturgie de Saint Jean Chrysostome, mais nous examinerons les œuvres de ce Père de l'Eglise.

Le mot κοινωνία - communion, en rapport avec l'Eglise et la sainte Eucharistie, se trouve si souvent dans ses très nombreuses œuvres, que là aussi nous sommes obligés de nous restreindre seulement à quelques extraits centraux de ses commentaires ou homélies de l'Evangile de St Matthieu et de St. Jean ainsi que des Epitres de l'Apôtre Paul.

Commençons par l'Apôtre Paul. Sans nul doute le passage fondamen­tal où il emploie le mot κοινωνία - communion, consiste en ces paroles de la 1ère Epitre aux Corinthiens, X, 16-17: “La coupe de bénédiction que nous bénissons n' est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons n'est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu'il n'y a qu'un pain, nous formons tous un corps, car tous nous avons part ‘ ce pain unique' (Τό ποτήριον τῆς εὐλόγιας ὅ εὐλογοῦμεν, οὐχί κοινωνία ἐστίν τοῦ αἵματος τοῦ Χριστοῦ, τόν ἄρτον ὅ κλῶμεν, οὐχί κοινωνία τοῦ σώματος τοῦ Χριστοῦ ἐστιν ; Ὅτι εἶς ἄρτος, ἕνω σῶμα οἱ πολλοί ἐσμέν · οἱ γάρ πάντες ἐκ τοῦ ἑνός ἄρτου μετέχομεν).

C'est passage de l'apôtre Paul reste même de nos jours, et pour beaucoup de commentateurs encore incompris (quelques traductions de nos jours n'ont pas aussi compris le sens du texte grec). Mais voyons le commentaire de ce passage donnée par St. Jean Chrysostome dans sa 24 ème homélie sur la Ière Epitre aux Corinthiens. «Διά τί μή εἶπε (ὁ Ἀπόστολος), μετοχή; Ὅτι πλέον τί δηλῶσαι ἠβουλήθη καί πολλήν ἐνδείξασθαι συνάφειαν. Οὐ γάρ τῷ μετέχειν μόνον καί μεταλαμβάνειν, ἀλλά καί τοῦ ἑνοῦσθαι κοινωνοῦμεν. Καθάπερ γάρ τό σῶμα ἐκεῖνο ἥνωται τῷ Χριστῷ, οὕτω καί ἡμεῖς αὐτῷ διά τοῦ ἄρτου τούτου ἑνούμεθα. Εἶτα, ἐπειδή εἶπε, Κοινωνία τοῦ σώματος, τό δέ κοινωνοῦν ἕτερόν ἐστιν ἐκείνου οὗ κοινωνεῖ καί τούτην τήν δοκοῦσαν εἶναι μικράν διαφοράν ἀνεῖλεν. Εἰπών γάρ, Κοινωνία τοῦ σώματος, ἐζήτησε πάλιν ἐγγύτερον τι εἶπεῖν. Διό καί ἐπήγαγε, Ὅτι εἷς ἄρτος, ἕν σῶμα ἐσμεν οἱ πολλοί. Τί γάρ λέγω κοινωνίαν; φησίν· αὐτό ἐσμέν ἐκεῖνο τό σῶμα. Τί γάρ ἐστιν ὁ ἄρτος; Σῶμα Χριστοῦ. Τί δέ γίνονται οἱ μεταάμβάνοντες; Σῶμα Χρισοῦ. Τί δέ γίνονται οἱ μεταλαμβάνοντες; Σῶμα Χριστοῦ . Οὐχί σώματα πολλά, ἀλλά σῶμα ἕν . Καθάπερ γάρ ὁ ἄρτος ἐκ πολλῶν συγκείμενος κόκκων ἥνωται, ὡς μηδαμοῦ φαίνεσθαι τούς κόκκους, ἀλλ' εἶναι μέν αὐτούς, ἄδηλον δέ αὐτῶν εἶναι τήν διαφοράν τῇ συναφείᾳ . Οὕτως καί ἀλλήλοις καί τῷ Χριστῷ συναπτόμεθα . Οὐ γάρ ἐξ ἑτέρου μέν σώματος σύ, ἐξ ἑτέρου δέ ἐκεῖνος τρἐφεται, ἀλλ' ἐκ τοῦ αὐτοῦ πάντες · διό καί ἐπήγαγεν . Οἱ γάρ πάντες ἐκ τοῦ ἑνός ἄρτου μετέχομεν » (Homélie 24, 2 sur 1 Cor., PG 61, 200). ‘Pourquoi l'apôtre n'a-t-il pas dit ‘participation (μετοχή) au lieu de ‘communion' (κοινωνία)? Parce qu'il voulait exprimer quelque chose de plus et montrer une union étroite (πολλήν συνάφειαν). Car nous communion (à Lui) non seulement par la participation et la manducation (du pain), mais aussi par l'union à Lui (Οὐ γάρ τῷ μετέχειν μόνον καί μεταλαμβάνειν, ἀλλά καί τῷ ἑνοῦσθαι κοινωνοῦμεν). Car de même que le corps que le corps (du Christ) est uni au Christ, de même nous nous unissons à Lui par ce pain. Ensuite, il (Apôtre) a annulé cette différence visiblement infime. En effet, ayant dit' κοινωνία τοῦ σώματος', il a cherché à exprimer quelque chose d'encore plus proche, et c'est pourquoi il a ajouté: ‘Puisqu'il y a un pain, nous sommes tous un corps (Ὅτι εἷς ἄρτος, ἕν σῶνα ἐσμεν οἱ πολλοί). Mais pourquoi j'emploie (le mot) κοινωνία ? Nous formons, en effet, le corps même du Christ (αὐτό ἐσμεν ἐκεῖνο τό σῶμα). Car qu'est-ce que ce pain? Il est le corps du Christ. Que devien­nent ceux qui y communient (οἱ μεταλαμβάνοντες)? Aussi le corps du Christ; non pas plusieurs corps, mais un seul corps. Car, de même que le pain, qui est composé de nombreux grains, devient un, si bien que les grains ne sont pas visibles (bien qu'ils soient là, mais à cause de leur union on ne voit pas leur différence), de même nous (dans la commun­ion) nous nous unissons les uns aux autres et au Christ (καί ἀλλήλοις καί Χριστῷ συναπτόμεθα). Car nous ne nourrissons pas les uns d'un corps, les autres d'un autre, mais tous d'un seul et même corps. C'est pourquoi l'Apôtre ajoute: ‘car tous nous avons part à ce pain unique'” (St. Jean Chrysostome, Homélie 24,2 sur 1 Cor., PG 61, 200).

Nous pensons que pour confirmer ce fait que, selon l'enseignement de St. Jean Chrysostome, les membres de l'Eglise (le peuple de Dieu) en tant que corps du Christ et la sainte Eucharistie en tant que corps du Christ sont unis de la manière la plus intime jusqu'à l'identification, les paroles de ce Père de l'Eglise qui viennent d'être citées suffiraient ample­ment. Il suffit simplement de les développer et de les analyser dans le sens où elles développent et analysent les mots de l'Apôtre cités au début.

Chez l'Apôtre Paul, dans les paroles que nous avons citées, deux faits sont aussitôt évidents, les deux vérités suivants: la 1ère vérité con­siste en ce que les saints dons eucharistiques (le pain et le vin dans le cal­ice) sont la κοινωνία - communion du corps et du sang du Christ, c. à d. qu' ils sont la κοινωνία τῶν ἁγίων (neutre), la “communion des saints” (neutrum), la communion des “choses” saintes, et notre communion à eux est la κοινωνία εἰς τά « ἅγια », “communio in sacris”, communion dans les choses saintes.

La deuxième vérité contenue dans les paroles citées de l'Apôtre Paul consiste en ce que cette première κοινωνία εἰς τά “ἅγια” (neutre) est la source et le centre d'une deuxième κοινωνία, c.àd. de la « κοινωνία τῶν ἁγίων » (masculin), “communio sanctorum” (masculin), la κοινωνία des fidèles en tant que membres du corps du Christ, c.àd. la κοινωνία ἐν τῇ Ἐκκλησίᾳ καί ὡς Ἐκκλησία (= communion dans l'Eglise et communion en tant qu'Eglise). Ainsi, les deux sens du mot κοινωνία peuvent s'ex­primer en deux monts: en communiant au corps et au sang du Christ tous les fidèles (οἱ πάντες) constituent ἕν σῶμα (un corps) qui s'identifie à εἷς ἄρτος (un pain) de l'Eucharistie.

Nous trouvons précisément une telle compréhension du passage de l'Apôtre Paul dans les commentaires de St. Jean Chrysostome. Celui-ci, dans ces commentaires comme nous l'avons vu, parle en même temps de communio in sacris” et de “communio sanctorum”, c.àd. de notre κοινωνία et de notre ἕνωσις (union) et ἑνότης (unité) entre nous dans le corps du Christ qui est l'Eglise. La première κοινωνία c.àd. notre κοινωνία dans le corps et le sang du Christ, devient la source et le centre de la deuxième κοινωνία, c.ad. de notre union, en tant que membres de l'Eglise, les uns aux autres dans l'assemblée Eucharistique (dans le synaxis). En effet, dans le premier cas, la κοινωνία dans le corps et le sang du Christ nous unit au Christ et nous fait corps du Christ, ou même nous identifie à Lui, selon les paroles de St. Jean Chrysostome: “Nous sommes Son corps même” (αὐτό ἐσμέν ἐκεῖνο τό σῶμα). Mais aussi par cette κοινωνία ἐν ἁγίοις (communio in sacris) nous nous unissons, en tant que membres du Christ, non seulement au Christ, mais aussi les uns aux autres dans la synaxis Eucharistique qui est la manifestation visible de 1' Eglise; c' est pourquoi St. Jean Chrysostome ajoute dans son commen­taire: “nous nous unissons et entre nous et au Christ” (καί ἀλλήλοις καί τῷ Χριστῷ) .

Voici donc dans quel sens nous parlons des dimensions ecclésiologiques de la communion des saints, c.àd. de la communion eucharis­tique. Cela veut dire que nous avons voulu souligner cette vérité que, chez St. Jean Chrysostome, à la suite de l'Apôtre Paul, la Sainte Eu­charistie ne signifie pas seulement la κοινωνία εἰς τά ἅγια (“commu­nio in sacris”), mais aussi en même temps la κοινωνία τῶν ἁγίων (“communio sanctorum”) (1) . En d'autres mots, chez Saint Jean Chrysostome l'Eucharistie n'est pas seulement un “sacramentum”, c.àd. une “chose sainte”, mais elle est avant tout une πρᾶξις de l'Eglise, l'a cte d'union et de communion (πρᾶξις συνάξεως καί κοινωνίας) dans le corps du Christ qui est l'Eglise.

C' est pourquoi l'Eucharistie est l'acte de λ'Eglise, la manifestation de l'Eglise en tant que corps du Christ. Elle est le sacrement de l'Eglise, et non pas seulement “un sacrement dans l'Eglise”.

Pour montrer cela encore plus clairement nous allons citer main­tenant d'autres passages des œuvres de St. Jean Chrysostome (2) . Ainsi dans sa 3ème homélie sur l'Epitre aux Ephésiens St. Jean Chrysostome parle en même temps du “corps du Seigneur” (“τό Κυριακόν σῶμα”), du corps Eucharistique du Christ (on peut l'appeler: τό εὐχαριστιακόν σῶμα), et du corps ecclésial du Christ (τό ἐκκλησιαστικόν σῶμα), car le Christ « σῶμα ἡμᾶς ἑαυτοῦ ἐποίησε, σῶμα ἡμῖν το ἑαυτοῦ μετέδωκεν »: “nous a fait Son corps, et nous a donné Son corps”» (Homélie 3,3 sur Eph., PG 62, 27).

Ce même Père dit dans son homélie 46 sur l'Evangile de St. Jean, en commentant précisément le chapitre 6 de l'Evangile de Jean, un chapitre eucharistique, comme on le sait d'ailleurs: “Nous devenons un seul corps et membres du Christ, comme le dit l'Apôtre: de sa chair et de ses os... Mais pour que nous devenions ce corps non seulement par l'amour, mais aussi en réalité (κατ' αὐτό τό πρᾶγμα), nous devons nous fondre (ἀνακερασθῶμεν) dans cette chair (du Christ). Cela se fait par la nourri­ture qu'il nous a donné, car il désirait nous montrer l'amour qu'il avait pour nous. C'est pourquoi il s'est mêlé (ἀνέμιξεν) à nous et a fondu (ἀνέφυρε) Son corps en nous, afin que nous et Lui nous soyons un, unis comme le corps est uni à la tête” (Homélie 46,3 sur Jean, PG 59, 260).

Il dit presque la même chose dans l'homélie 82 sur l'Evangile de Matthieu: “Il (le Christ) ne Lui suffisait pas de s'être fait homme et d'avoir souffert et d'être mort (pour nous), mais en plus il s'unit (ἀναφύρει) à nous, et c'est non seulement par la foi, mais en réalité (αὐτῷ τῷ πράγματι) qu'il nous fait Son corps... En effet nous nous nour­rissons de lui (du corps du Christ) et nous nous unissons (ἀναφυρόμεθα) à lui (au corps) et nous devenons un seul corps et une seule chair de Christ (καί γεγόναμεν ἡμεῖς Χριστοῦ σῶμα ἕν καί σάρξ μία) (Homélie 82, sur Mat., PG 58, 743-4). Un peu plus loin dans cette même homélie, Chrysostome passe à l'exposé du charactère ecclésiologique de l'assem­blée eucharistique (du synaxis), c.àd. de la communion eucharistique: “Que personne, s'il n'est disciple du Christ, ne communie. Que personne ne reçoive ce (corps) comme Judas, afin de ne pas avoir le destin de Ju­das. Parce que le corps du Christ est aussi cette multitude du peuple (τό πλῆθος). C' est pourquoi fais attention, toi qui officies à ce mystère et ne mets pas en colère ton Maitre en ne purifiant pas Son corps” (ibid).

St. Jean Chrysostome parle de même de ce caractère ecclésiologique et de cette signification de la synaxis eucharistique, c.àd. de la commun­ion eucharistique pour la vie de l'Eglise et de ses membres, dans l'homélie 32 sur Matthieu: “L'Eglise est la maison commune de tous (οἰκία κοινή πάντων)... C'est pourqu ο i, quand nous nous réunissons (συλλεγόμεθα) ici, nous devons le faire avec une bonne intention. En effet il y a beaucoup de choses qui nous réunissent (τά συνάγοντα ἡμᾶς): un repas est présenté à tous, un Père nous a enfanté, nous sommes tous nés par le même moyen (c.àd. par un seul baptême), à tous est donnée une seule et même boisson, ou même plus exactement: non pas seule­ment une seule et même boisson, mais nous buvons à une seule et même coupe. Car notre Père, qui désire nous mener à un amour brûlant (φιλοστοργία), a sagement prévu cela afin que nous buvions tous d'une même coupe, ce qui est la caractéristique de l'amour au plus ha u t point. Et comme nous avons communié (ἐκοινωνήσαμεν) au repas pneuma­tique (πενυματική τράπεζα), communions (κοινωνήσαμεν) aussi à 1' amour pneumatique (l'a mour de l'Esprit Saint). Car ce qui nous unit c' est que nous avons une seule et même ville, une seule et même maison, repas, route, porte, racine, vie et tête; un seul et même Pasteur, et Roi aussi, et Maitre et juge, et créateur, et Père, et tout en général nous est commun” (Homélie 32,7 sur Mt, PG 37, 385-386).

Comme nous le voyons d'après ces paroles, St. Jean Chrysostome fait découler l'unité catholique de la communauté ecclésiale de la seule et unique κοινωνία (communion) eucharistique, accomplie à l'assemblée (synaxis) du peuple ecclésial qui forme le corps du Christ. Les croyants sont appelés à cette unité déjà par le Saint Baptême et par la confession d'une seule et même foi, qui est professée pendant la réception du bap­tême et chaque fois pendant l'accomplissement du sacrement de 1 Eucharistie. C' est 1' unité ou la κοινωνία de l'Eglise locale dans un corps (ἕν σῶμα) et un esprit (ἕν πνεῦμα), “un Seigneur, une foi, un baptême”, selon l'Apôtre Paul (Eph. 4,4). C'est l'unité et la κοινωνία en “un Christ”, comme le dit Chrysostome: “Πάντες Χριστός εἷς ἐγένεσθε . Σῶμα Αὐτοῦ ὄντες” (Homélie 8,2, sur Colossiens, PG 62, 353).

Mais cette unité de la communauté ecclésiale locale, réalisée par la communion eucharistique au corps du Christ est, d'après l'enseignement de Chrysostome, le fondement et la source de l'unité de cette Eglise lo­cale avec toutes les autres Eglises dans le monde, c.àd. le fondement et la source de l'unité de toutes les églises de Dieu dans le monde (“αἱ ἁπανταχοῦ τῆς Οίκουμένης Ἐκκλησίαι”, Du Sacerdoce, IV, 7, PG 48, 670). Car le centre de l'unité et de l'union de l'église locale est ce “pain unique” (εἷς Χριστός) de la sainte Eucharistie, c.àd. cette unique et même κοινωνία du corps et du sang du Christ, c.àd. ce même Christ unique (εἷς Χριστός), parce que le Christ est unique et le même partout: “εἷς καί ὁ αὐτός πανταχοῦ” (Homélie 17,3 sur l'Epitre aux Hébreux. PG 63,131), si bien qu'il est la source de l'unité et le centre de l'unité dans chaque Eglise locale et dans toutes les Eglises locales dans le monde. C'est pourquoi St. Jean Chrysostome dit aussi: “L'Apôtre a dit ‘le corps”, mais le corps en­tier n'est pas seulement l'Eglise de Corinthe, mais l'Eglise qui est partout dans le monde (« ἡ ἀπανταχοῦ τῆς Οἰκουμένης Ἐκκλησία »). C' est pourquoi il a dit: « ἐκ μέρους », c.àd. l'Eglise qui est chez nous, elle est membre de l'Eglise qui se trouve partout (τῆς πανταχοῦ Ἐκκλησίας), et membre de ce corps que forment toutes les Eglises, si bien que vous de­vez être en paix non seulement entre vous mais aussi avec toute l'Eglise œcuménique, si vous êtes réellement les membres du corps total” (Homélie 32,1 sur la 1ère Epitre aux Corinthiens, PG 61, 264).

En effet il résulte de ces dernières paroles de St. Jean Chrysostome non pas que l'Eglise, ou plus exactement l'u n ion et l'unité des Eglises de Dieu dans le monde, devrait être comprise comme un assemblage, selon une no­tion collective; mais les paroles de Chrysostome nous transmettent la con­science de l'Eglise ancienne, conscience selon laquelle les Eglises locales catholiques, pour être réellement catholiques (αἱ καθολικαί Ἐκκλησίαι), doivent être dans l'unité et la totale communion - κοινωνία - également avec toutes les autres Eglises catholiques de Dieu dans le monde. La con­science ecclésiale sur ce point était très vive dans l'Eglise ancienne et c'est précisément sur la base de cette conscience de la κοινωνία τῶν Ἐκκλησιῶν (communion des Eglises) -ou comme il est dit chez l'historien Eusèbe: « τήν καινήν ἕνωσιν τῶν Ἐκκλησιῶν » (livre V, 21,1) (=l'union commune des Eglises)- que le système conciliaire, la structure conciliaire, s'est développée dans l'Eglise ancienne. Nous n'avons ni le temps ni la place pour approfondir ce problème, mais nous voulons simplement souligner que toutes les décisions conciliaires et toutes les sanctions canoniques des Synodes locaux et œcuméniques se fondaient justement sur la conscience concil i aire et la pratique conciliaire qui témoignaient de la κοινωνία une seule et indivisible, et à la fois eucharistique et ecclésiologique. C'est pourquoi l'excommunication de l'Eglise coïncidait avec la rupture de la κοινωνία eucharistique, et réciproquement, le retour à l'Eglise était le rétablissement de la κοινωνία eucharistique.

Il nous faut précisément ici souligner encore un moment important dans la compréhension de la κοινωνία eucharistique et ecclésiale chez St. Jean Chrysostome. Pour lui la koinonia dans l'Eucharistie et la koinonia dans 1 Eglise est impossible et impensable s'il n'ya pas la koinonia dans une seule et même foi et amour, c.àd. dans la vérité chrétienne, ou comme le dit textuellement lui-même Chrysostome: s'il n'y a pas “la foi pure et la vie juste (πίστις καθαρά καί βίος ὀρθός), car c'est en cela que consiste la piété (εὐσέβεια)” (Homélie 12,2 sur 1 Tim., PG 62, 5607.

C' est précisément pour cette raison que Saint Jean Chrysostome ap­pelle ainsi 1 Eglise: L' Eglise est la foi et la vie (Ἐκκλησία γάρ πίστις καί βίος, PG 52, 397). Commentant également les paroles de l'apôt r e Paul disant que l'Eglise est la colonne et le support de la vérité (στύλος καί ἑδραίωμα τῆς ἀληθείας), Chrysostome donne la réciproque de ces paroles de l'Apôtre en disant: “La Vérité est la colonne et le support de 1Eghse (ἡ γάρ ἀλήθεια ἔστι τῆς Ἐκκλησίας καί στύλος καί ἑδραίωμα, Homélie II,I sur 1 Tim., PG 62, 554). C'est pourquoi il af firme que dans l'Eglise il ne peut y avoir “un seul corps et un seul esprit” (ἕν σῶμα καί ἕν πνεῦμα, Eph. 4, 3-6) que quand “nous manifestons que nous avons une seule foi” (πάντες μίαν πίστιν ἔχοντες). Et il ajoute comme une conclusion: “C'est quand nous croyons tous de la même manière, qu'existe l'unité” (ὅταν δέ πάντες ὁμοίως πιστεύομεν τότε ἑνοτης ἐστί), (Homélie 11,3 sur Eph., PG 62, 83). Quand la foi n'est pas la même, c.ad. quand elle n'est pas la vraie foi, la foi ortho-doxe, c.àd. quand il y a hérésie, la communion au repas du Seigneur qui accepte seulement les disciples du Christ n'est en aucune façon possible. En effet toute hérésie et même tout schisme brise l'u nité de foi et l'unité de 1'Eglise, brise “τό πλήρωμα τό ἐκκλησιαστικόν” (= “la plénitude ecclésiale”, Homélie II sur l'Epitre aux Ephésiens, PG 62, 84-85). C'est l'u­nité ecclésiale dans la foi qui sert de base à la κοινωνία eucharistique; c' est pourquoi pendant l'accomplissement de la sainte Eucharistie tout le peuple confesse le symbole de foi que Chrysostome appelle “les canons terribles des dogmes venus du ciel” (τούς φρικτούς κανόνας τῶν ἐξ οὐρανῶν κατενεχθέντων δογμάτων), Homélie 40,1 sur 1 Cor, PG 61, 348). Mais d'un autre coté St. Jean Chrysostome souligne également que cette unité dans la foi n'est pas suffisante, car elle s'accomplit et se scelle seulement dans la totale κοινωνία eucharistique, c.àd. dans la totale com­munion dans l'Esprit Saint et dans le corps et le sang du Christ. C'est pourquoi la κοινωνία eucharistique soutient et affermit la κοινωνία (la communion) dans la foi. “Ceux qui ont reçu un seul Esprit, dit Chrysos­tome, et qui ont bu à une seule source (à une seule coupe), ne doivent pas avoir de dissensions” (Homélie 11,1 sur Eph., PG 62, 79).

Enfin il nous reste encore à examiner, une dimension également im­portante ecclésiologique de la κοινωνία eucharistique que l'on trouve aussi chez St. Jean Chrysostome. L'Eglise doit inclure non seulement tout l'univers, dit St. Jean Chrysostome, toute la terre et le ciel, mais également fous les siècles (πανταχοῦ τοῦ αἰῶνος) aussi bien passés que ceux à venir (Homélie sur les Psaumes 44,13, PG 55, 203 ss).

En d' autres termes, et pour employer notre terminologie actuelle, St. Jean Chrysostome soutient non seulement un œcuménisme dans l'espace (géographique), mais aussi un œcuménisme dans le temps, c.àd.. notre unité et notre κοινωνία avec toutes les époques de l'Eglise, avec les fidèles de tous les siècles, avec tous les Saints ayant vécu jadis sur terre et vivant maintenant dans les cieux. Car ils sont tous avec nous les membres vivants du corps du Christ, or ce corps est toujours Un (ἕν τό σῶμα τῶν πιστῶν ... καί τό σῶμα τοῦτο οὐ χρόνος διέστησεν, οὐ τόπος ..., PG 56, 277. Cf. Homélie 10, 1 sur Eph., PG 62, 75). Ici donc il fa l lait parler de “com­munio sanctorum” au ciel. Mais, nous n'avons pas de temps maintenant. Cette unité catholique et cette κοινωνία catholique, à la fois eucharis­tique et ecclésiologique, sur la terre et au ciel, St. Jean Chrysostome, suivant en cela l'Apôtre Paul (1 Cor. 1, 9), les désigne d'un seul et même terme: “la communion du Monogène – κοινωνία τοῦ Μονογενοῦς” (Homélie sur les Psaumes 8,7, PG 55,117).

Et cette κοινωνία τοῦ Μονογενοῦς existe et est actualisée dans l'Eglise par la grâce et l'action du Saint Esprit; c' est pourquoi chez St. Jean Chrysostome cette compréhension eucharistico-ecclésiologique de la κοινωνία est toujours une compréhension pneumatologique (cf. PG 61, 251) 3 . Car pour ce saint Père, le Saint Esprit est justement celui qui nous abreuve (1 Cor. 12, 13-14) et dont nous sommes abreuvés dans la κοινωνία eucharistique au Corps et au Sang du Christ, et c'est ce même Saint Esprit qui “nous constitue tous et nous unit en un seul corps” (Homélie 30, 1-4 sur 1 Cor., PG 62, 251) (3) . Ainsi, Saint Jean Chrysostome aussi, en parlant de la κοινωνία τοῦ Ἁγίου Πνεύματος rejoint dans sa doctrine sur l'Eglise comme κοινωνία cela même qu' enseignait son grand maitre en ecclésiologie, le saint Apôtre Paul, qui est celui qui em­ploie le plus souvent le terme κοινωνία dans toutes ses dimensions dont nous n'avons ici souligné que quelques-unes.


Notes

1. Cf. J. Zizioulas, L'unité de l'Eglise dans l'Eucharistie et dans l'Evêque pendant les trois premiers siècles, Athènes 1967, p. 36 (en grec).

2. St. Jean Chrysostome parle de la Sainte Eucharistie et de l'Eglise presque partout dans ses home li es. Il parle tout spécialement de la Sainte Eucharistie dans l'homélie 82 sur Matthieu, 46-47 sur Jean, 24 sur 1 Cor. et 3 sur Ephésiens.

3. Sur l'Epicl è se du Saint Esprit chez Jean Chrysostome, voir par exemple “Du Sacerdoce” III. 4. PG 48, 642.

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